Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/140

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rer… », et il en ajoute une quatrième : fade discoureur, qui n’a pas mis plus tôt le pied dans une assemblée, qu’il cherche quelques femmes auprès de qui il puisse s’insinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie, et mettre en œuvre ses rares conceptions ; car soit qu’il parle ou qu’il écrive, il ne doit pas être soupçonné d’avoir en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable ni le ridicule : il évite uniquement de donner dans le sens des autres, et d’être de l’avis de quelqu’un ; aussi attend-il dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui s’est offert, ou souvent qu’il a amené lui-même, pour dire dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à son gré décisives et sans réplique. Cydias s’égale à Lucien et à Sénèque, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de Théocrite ; et son flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion. Uni de goût et d’intérêt avec les contempteurs d’Homère, il attend paisiblement que les hommes détrompés lui préfèrent les poètes modernes : il se met en ce cas à la tête de ces derniers, et il sait à qui il adjuge la seconde place. C’est en un mot un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province, en qui néanmoins on n’aperçoit rien de grand que l’opinion qu’il a de lui-même.

76 (I)

C’est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu’il vient d’apprendre lui-même ; celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu’il dit puisse être ignoré, et parle plus indifféremment.

77 (I)

Les plus grandes choses n’ont besoin que d’être dites simplement : elles se gâtent par l’emphase. Il faut dire noblement les plus petites : elles ne se soutiennent que par l’expression, le ton et la manière.

78 (I)

Il me semble que l’on dit les choses encore plus finement qu’on ne peut les écrire.

79 (I)

Il n’y a guère qu’une naissance honnête, ou qu’une bonne éducation, qui rendent les hommes capables de secret.

80 (IV)

Toute confiance est dangereuse si elle n’est entière : il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui l’on croit devoir en dérober une circonstance.

8I

(V)