Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/192

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ils en sont les premiers surpris et consternés. Ils se reconnaissent enfin, et se trouvent dignes de leur étoile ; et comme si la stupidité et la fortune étaient deux choses incompatibles, ou qu’il fût impossible d’être heureux et sot tout à la fois, ils se croient de l’esprit ; ils hasardent, que dis-je ? ils ont la confiance de parler en toute rencontre, et sur quelque matière qui puisse s’offrir, et sans nul discernement des personnes qui les écoutent. Ajouterai-je qu’ils épouvantent ou qu’ils donnent le dernier dégoût par leur fatuité et par leurs fadaises ? Il est vrai du moins qu’ils déshonorent sans ressources ceux qui ont quelque part au hasard de leur élévation.

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(IV) Comment nommerai-je cette sorte de gens qui ne sont fins que pour les sots ? Je sais du moins que les habiles les confondent avec ceux qu’ils savent tromper.

(I) C’est avoir fait un grand pas dans la finesse, que de faire penser de soi que l’on n’est que médiocrement fin.

(IV) La finesse n’est ni une trop bonne ni une trop mauvaise qualité : elle flotte entre le vice et la vertu. Il n’y a point de rencontre où elle ne puisse, et peut-être où elle ne doive être suppléée par la prudence.

(IV) La finesse est l’occasion prochaine de la fourberie ; de l’un à l’autre le pas est glissant ; le mensonge seul en fait la différence : si on l’ajoute à la finesse, c’est fourberie.

(IV) Avec les gens qui par finesse écoutent tout et parlent peu, parlez encore moins ; ou si vous parlez beaucoup, dites peu de chose.

86 (V)

Vous dépendez, dans une affaire qui est juste et importante, du consentement de deux personnes. L’un vous dit : « J’y donne les mains pourvu qu’un tel y condescende » ; et ce tel y condescend, et ne désire plus que d’être assuré des intentions de l’autre. Cependant rien n’avance ; les mois, les années s’écoulent inutilement : « Je m’y perds, dites-vous, et je n’y comprends rien ; il ne s’agit que de faire qu’ils s’abouchent, et qu’ils se parlent. » Je vous dis ; moi, que j’y vois clair, et que j’y comprends tout : ils se sont parlé.

87 (VII)

Il me semble que qui sollicite pour les autres a la confiance d’un homme qui demande justice ; et qu’en parlant