Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/202

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mêmes, suivent leur goût, leurs passions, leur commodité : cela est naturel.

30 (I)

Il semble que la première règle des compagnies, des gens en place ou des puissants, est de donner à ceux qui dépendent d’eux pour le besoin de leurs affaires toutes les traverses qu’ils en peuvent craindre.

3I (IV)

Si un grand a quelque degré de bonheur sur les autres hommes, je ne devine pas lequel, si ce n’est peut-être de se trouver souvent dans le pouvoir et dans l’occasion de faire plaisir ; et si elle naît, cette conjoncture, il semble qu’il doive s’en servir. Si c’est en faveur d’un homme de bien, il doit appréhender qu’elle ne lui échappe ; mais comme c’est en une chose juste, il doit prévenir la sollicitation, et n’être vu que pour être remercié ; et si elle est facile, il ne doit pas même la lui faire valoir. S’il la lui refuse, je les plains tous deux.

32 (VI)

Il y a des hommes nés inaccessibles, et ce sont précisément ceux de qui les autres ont besoin, de qui ils dépendent. Ils ne sont jamais que sur un pied ; mobiles comme le mercure, ils pirouettent, ils gesticulent, ils crient, ils s’agitent ; semblables à ces figures de carton qui servent de montre à une fête publique, ils jettent feu et flamme, tonnent et foudroient : on n’en approche pas, jusqu’à ce que, venant à s’éteindre, ils tombent, et par leur chute deviennent traitables, mais inutiles.

33 (IV)

Le suisse, le valet de chambre, l’homme de livrée, s’ils n’ont plus d’esprit que ne porte leur condition, ne jugent plus d’eux-mêmes par leur première bassesse, mais par l’élévation et la fortune des gens qu’ils servent, et mettent tous ceux qui entrent par leur porte, et montent leur escalier, indifféremment au-dessous d’eux et de leurs maîtres : tant il est vrai qu’on est destiné à souffrir des grands et de ce qui leur appartient.

34 (IV)

Un homme en place doit aimer son prince, sa femme, ses enfants, et après eux les gens d’esprit ; il les doit adopter, il doit s’en fournir et n’en jamais manquer. Il ne saurait payer, je ne dis pas de trop de pensions et de bienfaits, mais de trop de familiarité et de caresses, les secours et les services qu’il en tire, même sans le savoir. Quels petits bruits ne dissipent-ils pas ? quelles histoires ne réduisent-ils pas à la fable et à la fiction ? Ne savent-ils pas