Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/212

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sible, on ne voit pas par où le calme peut en sortir.

7 (IV)

Il y a de certains maux dans la république qui y sont soufferts, parce qu’ils préviennent ou empêchent de plus grands maux. Il y a d’autres maux qui sont tels seulement par leur établissement, et qui, étant dans leur origine un abus ou un mauvais usage, sont moins pernicieux dans leurs suites et dans la pratique qu’une loi plus juste ou une coutume plus raisonnable. L’on voit une espèce de maux que l’on peut corriger par le changement ou la nouveauté, qui est un mal, et fort dangereux. Il y en a d’autres cachés et enfoncés comme des ordures dans un cloaque, je veux dire ensevelis sous la honte, sous le secret et dans l’obscurité : on ne peut les fouiller et les remuer qu’ils n’exhalent le poison et l’infamie ; les plus sages doutent quelquefois s’il est mieux de connaître ces maux que de les ignorer. L’on tolère quelquefois dans un Etat un assez grand mal, mais qui détourne un million de petits maux ou d’inconvénients, qui tous seraient inévitables et irrémédiables. Il se trouve des maux dont chaque particulier gémit, et qui deviennent néanmoins un bien public, quoique le public ne soit autre chose que tous les particuliers. Il y a des maux personnels qui concourent au bien et à l’avantage de chaque famille. Il y en a qui affligent, ruinent ou déshonorent les familles, mais qui tendent au bien et à la conservation de la machine de l’Etat et du gouvernement. D’autres maux renversent des Etats, et sur leurs ruines en élèvent de nouveaux. On en a vu enfin qui ont sapé par les fondements de grands empires, et qui les ont fait évanouir de dessus la terre, pour varier et renouveler la face de l’univers.

8 (VIII)

Qu’importe à l’Etat qu’Ergaste soit riche, qu’il ait des chiens qui arrêtent bien, qu’il crée les modes sur les équipages et sur les habits, qu’il abonde en superfluités ? Où il s’agit de l’intérêt et des commodités de tout le public, le particulier est-il compté ? La consolation des peuples dans les choses qui lui pèsent un peu est de savoir qu’ils soulagent le prince, ou qu’ils n’enrichissent que lui : ils ne se croient point redevables à Ergaste de l’embellissement de sa fortune.

9 (IV)

La guerre a pour elle l’antiquité ; elle a été dans tous les siècles : on l’a toujours vue remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire périr