Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/219

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relâchait de lui-même sur-le-champ, et comme par un esprit d’accommodement ; il ose même promettre à l’assemblée qu’il fera goûter la proposition, et qu’il n’en sera pas désavoué. Il fait courir un bruit faux des choses seulement dont il est chargé, muni d’ailleurs de pouvoirs particuliers, qu’il ne découvre jamais qu’à l’extrémité, et dans les moments où il lui serait pernicieux de ne les pas mettre en usage. Il tend surtout par ses intrigues au solide et à l’essentiel, toujours prêt de leur sacrifier les minuties et les points d’honneur imaginaires. Il a du flegme, il s’arme de courage et de patience, il ne se lasse point, il fatigue les autres, et les pousse jusqu’au découragement. Il se précautionne et s’endurcit contre les lenteurs et les remises, contre les reproches, les soupçons, les défiances, contre les difficultés et les obstacles, persuadé que le temps seul et les conjonctures amènent les choses et conduisent les esprits au point où on les souhaite. Il va jusques à feindre un intérêt secret à la rupture de la négociation, lorsqu’il désire le plus ardemment qu’elle soit continuée ; et si au contraire il a des ordres précis de faire les derniers efforts pour la rompre, il croit devoir, pour y réussir, en presser la continuation et la fin. S’il survient un grand événement, il se raidit ou il se relâche selon qu’il lui est utile ou préjudiciable ; et si par une grande prudence il sait le prévoir, il presse et il temporise selon que l’Etat pour qui il travaille en doit craindre ou espérer ; et il règle sur ses besoins ses conditions. Il prend conseil du temps, du lieu, des occasions, de sa puissance ou de sa faiblesse, du génie des nations avec qui il traite, du tempérament et du caractère des personnes avec qui il négocie. Toutes ses vues, toutes ses maximes, tous les raffinements de sa politique tendent à une seule fin, qui est de n’être point trompé, et de tromper les autres.

13 (I)

Le caractère des Français demande du sérieux dans le souverain.

14 (I)

L’un des malheurs du prince est d’être souvent trop plein de son secret, par le péril qu’il y a à le répandre : son bonheur est de rencontrer une personne sûre qui l’en décharge.

15 (I)

Il ne manque rien à un roi que les douceurs d’une vie privée ; il ne peut être consolé d’une si grande perte que par le charme de l’amitié, et par la fidélité de ses amis.

16 (I)