Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/239

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Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux, D’abord elle se plaint qu’elle est lasse et recrue de fatigue ; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu’elle vient de faire. Elle dit qu’elle est le soir sans appétit ; l’oracle lui ordonne de dîner peu : elle ajoute qu’elle est sujette à des insomnies, et il lui prescrit de n’être au lit que pendant la nuit : elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède ; l’oracle répond qu’elle doit se lever avant midi, et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher : elle lui déclare que le vin lui est nuisible ; l’oracle lui dit de boire de l’eau ; qu’elle a des indigestions, et il ajoute qu’elle fasse diète. « Ma vue s’affaiblit, dit Irène. — Prenez des lunettes, dit Esculape. — Je m’affaiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que j’ai été. — C’est, dit le dieu, que vous vieillissez. — Mais que moyen de guérir de cette langueur ? — Le plus court, Irène, c’est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. — Fils d’Apollon, s’écrie Irène, quel conseil me donnez-vous ? Est-ce là toute cette science que les hommes publient, et qui vous fait révérer de toute la terre ? Que m’apprenez-vous de rare et de mystérieux ? et ne savais-je pas tous ces remèdes que vous m’enseignez ? — Que n’en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage ? »

❡ La mort n’arrive qu’une fois, et se fait sentir à tous les moments de la vie ; il est plus dur de l’appréhender que de la souffrir.

❡ L’inquiétude, la crainte, l’abattement n’éloignent pas la mort, au contraire ; je doute seulement que le ris excessif convienne aux hommes, qui sont mortels.

❡ Ce qu’il y a de certain dans la mort est un peu adouci par ce qui est incertain ; c’est un indéfini dans le temps qui tient quelque chose de l’infini et de ce qu’on appelle éternité.

❡ Pensons que, comme nous soupirons présentement pour la florissante jeunesse qui n’est plus et ne reviendra point, la caducité suivra qui nous fera regretter l’âge viril où nous sommes encore et que nous n’estimons pas assez.

❡ L’on craint la vieillesse, que l’on n’est pas sûr de pouvoir atteindre.