Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/279

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Le sot est embarrassé de sa personne ; le fat a l’air libre et assuré ; l’impertinent passe à l’effronterie : le mérite a de la pudeur.

54 (VIII)

Le suffisant est celui en qui la pratique de certains détails que l’on honore du nom d’affaires se trouve jointe à une très grande médiocrité d’esprit.

Un grain d’esprit et une once d’affaires plus qu’il n’en entre dans la composition du suffisant, font l’important.

Pendant qu’on ne fait que rire de l’important, il n’a pas un autre nom ; dès qu’on s’en plaint, c’est l’arrogant.

55 (VII)

L’honnête homme tient le milieu entre l’habile homme et l’homme de bien, quoique dans une distance inégale de ces deux extrêmes.

La distance qu’il y a de l’honnête, homme à l’habile homme s’affaiblit de jour à autre, et est sur le point de disparaître.

L’habile homme est celui qui cache ses passions, qui entend ses intérêts, qui y sacrifie beaucoup de choses, qui a su acquérir du bien ou en conserver.

L’honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grands chemins, et qui ne tue personne, dont les vices enfin ne sont pas scandaleux.

On connaît assez qu’un homme de bien est honnête homme ; mais il est plaisant d’imaginer que tout honnête homme n’est pas homme de bien.

L’homme de bien est celui qui n’est ni un saint ni un dévot, et qui s’est borné à n’avoir que de la vertu.

56

(IV) Talent, goût, esprit, bon sens, choses différentes, non incompatibles.

(IV) Entre le bon sens et le bon goût il y a la différence de la cause à son effet.

(VI) Entre esprit et talent il y a la proportion du tout à sa partie.

(VI) Appellerai-je homme d’esprit celui qui, borné et renfermé dans quelque art, ou même dans une certaine science qu’il exerce dans une grande perfection, ne montre hors de là ni jugement, ni mémoire, ni vivacité, ni mœurs, ni conduite ;