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Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/306

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enveloppe la nacelle, elle est submergée : on voit Eustrate revenir sur l’eau et faire quelques efforts ; on espère qu’il pourra du moins se sauver et venir à bord ; mais une vague l’enfonce, on le tient perdu ; il paraît une seconde fois, et les espérances se réveillent, lorsqu’un flot survient et l’abîme : on ne le revoit plus, il est noyé.

I0 (IV)

Voiture et Sarrazin étaient nés pour leur siècle, et ils ont paru dans un temps où il semble qu’ils étaient attendus. S’ils s’étaient moins pressés de venir, ils arrivaient trop tard ; et j’ose douter qu’ils fussent tels aujourd’hui qu’ils ont été alors. Les conversations légères, les cercles, la fine plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites parties où l’on était admis seulement avec de l’esprit, tout a disparu. Et qu’on ne dise point qu’ils les feraient revivre : ce que je puis faire en faveur de leur esprit est de convenir que peut-être ils excelleraient dans un autre genre ; mais les femmes sont de nos jours ou dévotes, ou coquettes, ou joueuses, ou ambitieuses, quelques-unes même tout cela à la fois ; le goût de la faveur, le jeu, les galants, les directeurs ont pris la place, et la défendent contre les gens d’esprit.

II (I)

Un homme fat et ridicule porte un long chapeau, un pourpoint à ailerons, des chausses à aiguillettes et des bottines ; il rêve la veille par où et comment il pourra se faire remarquer le jour qui suit. Un philosophe se laisse habiller par son tailleur : il y a autant de faiblesse à fuir la mode qu’à l’affecter.

I2 (IV)

L’on blâme une mode qui divisant la taille des hommes en deux parties égales, en prend une tout entière pour le buste, et laisse l’autre pour le reste du corps ; l’on condamne celle qui fait de la tête des femmes la base d’un édifice à plusieurs étages dont l’ordre et la structure change selon leurs caprices, qui éloigne les cheveux du visage, bien qu’ils ne croissent que pour l’accompagner, qui les relève et les hérisse à la manière des bacchantes, et semble avoir pourvu à ce que les femmes changent leur physionomie douce et modeste en une autre qui soit fière et audacieuse ; on se récrie enfin contre une telle ou une telle mode, qui cependant, toute bizarre qu’elle est, pare et embellit pendant qu’elle dure, et dont l’on tire tout l’avantage qu’on en peut espérer, qui est de plaire. Il me paraît qu’on devrait seulement admirer l’inconstance et la légèreté des hommes,