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Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/32

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DE L’IMAGE D’UN COQUIN


Un coquin est celui à qui les choses les plus honteuses ne coûtent rien à dire ou à faire, qui jure volontiers et fait des serments en justice autant que l’on lui en demande, qui est perdu de réputation, que l’on outrage impunément, qui est un chicaneur de profession, un effronté, et qui se mêle de toutes sortes d’affaires. Un homme de ce caractère entre sans masque dans une danse comique ; et même sans être ivre ; et de sang-froid, il se distingue dans la danse la plus obscène par les postures les plus indécentes. C’est lui qui, dans ces lieux où l’on voit des prestiges, s’ingère de recueillir l’argent de chacun des spectateurs, et qui fait querelle à ceux qui, étant entrés par billets, croient ne devoir rien payer. Il est d’ailleurs de tous métiers ; tantôt il tient une taverne, tantôt il est suppôt de quelque lieu infâme, une autre fois partisan : il n’y a point de sale commerce où il ne soit capable d’entrer ; vous le verrez aujourd’hui crieur public, demain cuisinier ou brelandier : tout lui est propre. S’il a une mère, il la laisse mourir de faim. Il est sujet au larcin, et à se voir traîner par la ville dans une prison, sa demeure ordinaire, et où il passe une partie de sa vie. Ce sont ces sortes de gens que l’on voit se faire entourer du peuple, appeler ceux qui passent et se plaindre à eux avec une voix forte et enrouée, insulter ceux qui les contredisent : les uns fendent la presse pour les voir, pendant que les autres, contents de les avoir vus, se dégagent et poursuivent leur chemin sans vouloir les écouter ; mais ces effrontés continuent de parler : ils disent à celui-ci le commencement d’un fait, quelque mot à cet autre ; à peine peut-on tirer d’eux la moindre partie de ce dont il s’agit ; et vous remarquerez qu’ils choisissent pour cela des jours d’assemblée publique, où il y a un grand concours de monde, qui se trouve le témoin de leur insolence. Toujours accablés de procès, que l’on intente contre eux ou