Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/321

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des apparences qu’on pourrait épargner aux simples et aux indévots.

24 (VI)

Un pasteur frais et en parfaite santé, en ligne fin et en point de Venise, a sa place dans l’œuvre auprès les pourpres et les fourrures ; il y achève sa digestion, pendant que le Feuillant ou le Récollet quitte sa cellule et son désert, où il est lié par ses vœux et par la bienséance, pour venir le prêcher, lui et ses ouailles, et en recevoir le salaire, comme d’une pièce d’étoffe. Vous m’interrompez, et vous dites : « Quelle censure ! et combien elle est nouvelle et peu attendue ! Ne voudriez-vous point interdire à ce pasteur et à son troupeau la parole divine et le pain de l’Evangile ? » — Au contraire, je voudrais qu’il le distribuât lui-même le matin, le soir, dans les temples, dans les maisons, dans les places, sur les toits, et que nul ne prétendît à un emploi si grand, si laborieux, qu’avec des intentions, des talents et des poumons capables de lui mériter les belles offrandes et les riches rétributions qui y sont attachées. Je suis forcé, il est vrai, d’excuser un curé sur cette conduite par un usage reçu, qu’il trouve établi, et qu’il laissera à son successeur ; mais c’est cet usage bizarre et dénué de fondement et d’apparence que je ne puis approuver, et que je goûte encore moins que celui de se faire payer quatre fois des mêmes obsèques, pour soi, pour ses droits, pour sa présence, pour son assistance.

25 (IV)

Tite, par vingt années de service dans une seconde place, n’est pas encore digne de la première, qui est vacante : ni ses talents, ni sa doctrine, ni une vie exemplaire, ni les vœux des paroissiens ne sauraient l’y faire asseoir. Il naît de dessous terre un autre clerc pour la remplir. Tite est reculé ou congédié : il ne se plaint pas ; c’est l’usage.

26 (V)

«  Moi, dit le cheffecier, je suis maître du chœur ; qui me forcera d’aller à matines ? mon prédécesseur n’y allait point : suis-je de pire condition ? dois-je laisser avilir ma dignité entre mes mains, ou la laisser telle que je l’ai