Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/326

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car ou il se défie de ses lumières et même de sa probité, ou il cherche à le prévenir, ou il lui demande une injustice.

45 (IV)

Il se trouve des juges auprès de qui la faveur, l’autorité, les droits de l’amitié et de l’alliance nuisent à une bonne cause, et qu’une trop grande affectation de passer pour incorruptibles expose à être injustes.

46 (IV)

Le magistrat coquet ou galant est pire dans les conséquences que le dissolu : celui-ci cache son commerce et ses liaisons, et l’on ne sait souvent par où aller jusqu’à lui ; celui-là est ouvert par mille faibles qui sont connus, et l’on y arrive par toutes les femmes à qui il veut plaire.

47 (IV)

Il s’en faut peu que la religion et la justice n’aillent de pair dans la république, et que la magistrature ne consacre les hommes comme la prêtrise. L’homme de robe ne saurait guère danser au bal, paraître aux théâtres, renoncer aux habits simples et modestes, sans consentir à son propre avilissement ; et il est étrange qu’il ait fallu une loi pour régler son extérieur, et le contraindre ainsi à être grave et plus respecté.

48 (IV)

Il n’y a aucun métier qui n’ait son apprentissage, et en montant des moindres conditions jusques aux plus grandes, on remarque dans toutes un temps de pratique et d’exercice qui prépare aux emplois, où les fautes sont sans conséquence, et mènent au contraire à la perfection. La guerre même, qui ne semble naître et durer que par la confusion et le désordre, a ses préceptes ; on ne se massacre pas par pelotons et par troupes en rase campagne sans l’avoir appris, et l’on s’y tue méthodiquement. Il y a l’école de la guerre : où est l’école du magistrat ? Il y a un usage, des lois, des coutumes : où est le temps, et le temps assez long que l’on emploie à les digérer et à s’en instruire ? L’essai et l’apprentissage d’un jeune adolescent qui passe de la férule à la pourpre, et dont la consignation a fait un juge, est de décider souverainement des vies et des fortunes des hommes.

49 (IV)

La principale partie de l’orateur, c’est la probité : sans elle il dégénère en déclamateur, il déguise ou il exagère les faits, il cite faux, il calomnie, il épouse la passion et les haines de ceux pour qui il parle ; et il est de la classe de ces avocats dont le proverbe dit qu’ils sont payés pour dire des injures.

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(V) « Il est vrai, dit-on, cette somme lui est due, et ce droit