Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/333

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de tout espérer d’une maladie mortelle, et de se porter encore passablement bien à l’agonie ! La mort surprend agréablement et sans s’être fait craindre ; on la sent plus tôt qu’on n’a songé à s’y préparer et à s’y résoudre. O Fagon Esculape ! faites régner sur toute la terre le quinquina et l’émétique ; conduisez à sa perfection la science des simples, qui sont donnés aux hommes pour prolonger leur vie ; observez dans les cures, avec plus de précision et de sagesse que personne n’a encore fait, le climat, les temps, les symptômes et les complexions ; guérissez de la manière seule qu’il convient à chacun d’être guéri ; chassez des corps, où rien ne vous est caché de leur économie, les maladies les plus obscures et les plus invétérées ; n’attentez pas sur celles de l’esprit, elles sont incurables ; laissez à Corinne, à Lesbie, à Canidie, à Trimalcion et à Carpus la passion ou la fureur des charlatans.

69 (IV)

L’on souffre dans la république les chiromanciens et les devins, ceux qui font l’horoscope et qui tirent la figure, ceux qui connaissent le passé par le mouvement du sas, ceux qui font voir dans un miroir ou dans un vase d’eau la claire vérité ; et ces gens sont en effet de quelque usage : ils prédisent aux hommes qu’ils feront fortune, aux filles qu’elles épouseront leurs amants, consolent les enfants dont les pères ne meurent point, et charment l’inquiétude des jeunes femmes qui ont de vieux maris ; ils trompent enfin à très vil prix ceux qui cherchent à être trompés.

70 (IV)

Que penser de la magie et du sortilège ? La théorie en est obscure, les principes vagues, incertains, et qui approchent du visionnaire ; mais il y a des faits embarrassants, affirmés par des hommes graves qui les ont vus, ou qui les ont appris de personnes qui leur ressemblent : les admettre tous ou les nier tous paraît un égal inconvénient ; et j’ose dire qu’en cela, comme dans toutes les choses extraordinaires et qui sortent des communes règles, il y a un parti à trouver entre les âmes crédules et les esprits forts.

7I (I)

L’on ne peut guère charger l’enfance de la connaissance de trop de langues, et il me semble que l’on devrait mettre toute son application à l’en instruire ; elles sont utiles à toutes les