Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/36

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tait puissant, et il avait avec lui de grandes forces. Ce que je vous dis, poursuit-il, est un secret qu’il faut garder pour vous seul », pendant qu’il court par toute la ville le débiter à qui le veut entendre. Je vous avoue que ces diseurs de nouvelles me donnent de l’admiration, et que je ne conçois pas quelle est la fin qu’ils se proposent ; car pour ne rien dire de la bassesse qu’il y a à toujours mentir, je ne vois pas qu’ils puissent recueillir le moindre fruit de cette pratique. Au contraire, il est arrivé à quelques-uns de se laisser voler leurs habits dans un bain public, pendant qu’ils ne songeaient qu’à rassembler autour d’eux une foule de peuple, et à lui conter des nouvelles. Quelques autres, après avoir vaincu sur mer et sur terre dans le Portique, ont payé l’amende pour n’avoir pas comparu à une cause appelée. Enfin il s’en est trouvé qui, le jour même qu’ils ont pris une ville, du moins par leurs beaux discours, ont manqué de dîner. Je ne crois pas qu’il y ait rien de si misérable que la condition de ces personnes ; car quelle est la boutique, quel est le portique, quel est l’endroit d’un marché public où ils ne passent tout le jour à rendre sourds ceux qui les écoutent, ou à les fatiguer par leurs mensonges ?


DE L’EFFRONTERIE CAUSÉE PAR L’AVARICE


Pour faire connaître ce vice, il faut dire que c’est un mépris de l’honneur dans la vue d’un vil intérêt. Un homme que l’avarice rend effronté ose emprunter une somme d’argent à celui à qui il en doit déjà, et qu’il lui retient avec injustice. Le jour même qu’il aura sacrifié aux Dieux, au lieu de manger religieusement chez soi une partie des viandes consacrées, il les fait saler pour lui servir dans plusieurs repas, et va souper chez l’un de ses amis ; et là, à table, à la vue de tout le monde, il appelle son valet, qu’il veut encore nourrir aux dépens de son hôte, et lui coupant