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Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/361

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que je dois ce quelque chose qui est en moi, qui pense, et que j’appelle mon esprit : ce qui est absurde.

Si au contraire cette nature universelle, quelque chose que ce puisse être, ne peut pas être tous ces corps, ni aucun de ces corps, il suit de là qu’elle n’est point matière, ni perceptible par aucun des sens ; si cependant elle pense, ou si elle est plus parfaite que ce qui pense, je conclus encore qu’elle est esprit, ou un être meilleur et plus accompli que ce qui est esprit. Si d’ailleurs il ne reste plus à ce qui pense en moi, et que j’appelle mon esprit, que cette nature universelle à laquelle il puisse remonter pour rencontrer sa première cause et son unique origine, parce qu’il ne trouve point son principe en soi, et qu’il le trouve encore moins dans la matière, ainsi qu’il a été démontré, alors je ne dispute point des noms ; mais cette source originaire de tout esprit, qui est esprit elle-même, et qui est plus excellente que tout esprit, je l’appelle Dieu.

En un mot, je pense, donc Dieu existe ; car ce qui pense en moi, je ne le dois point à moi-même, parce qu’il n’a pas plus dépendu de moi de me le donner une première fois, qu’il dépend encore de moi de me le conserver un seul instant. Je ne le dois point à un être qui soit au-dessus de moi, et qui soit matière, puisqu’il est impossible que la matière soit au-dessus de ce qui pense : je le dois donc à un être qui est au-dessus de moi et qui n’est point matière ; et c’est Dieu.

37 (I)

De ce qu’une nature universelle qui pense exclut de soi généralement tout ce qui est matière, il suit nécessairement qu’un être particulier qui pense ne peut pas aussi admettre en soi la moindre matière ; car bien qu’un être universel qui pense renferme dans son idée infiniment plus de grandeur, de puissance, d’indépendance et de capacité, qu’un être particulier qui pense, il ne renferme pas néanmoins une plus grande exclusion de matière, puisque cette exclusion dans l’un et l’autre de ces deux êtres est aussi grand qu’elle peut être et comme infinie, et qu’il est autant impossible que ce qui pense en moi soit matière, qu’il est inconcevable