Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/53

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DE L’OSTENTATION


Je n’estime pas que l’on puisse donner une idée plus juste de l’ostentation, qu’en disant que c’est dans l’homme une passion de faire montre d’un bien ou des avantages qu’il n’a pas. Celui en qui elle domine s’arrête dans l’endroit du Pirée où les marchands étalent, et où se trouve un plus grand nombre d’étrangers ; il entre en matière avec eux, il leur dit qu’il a beaucoup d’argent sur la mer ; il discourt avec eux des avantages de ce commerce, des gains immenses qu’il y a à espérer pour ceux qui y entrent, et de ceux surtout que lui qui leur parle y a faits. Il aborde dans un voyage le premier qu’il trouve sur son chemin, lui fait compagnie, et lui dit bientôt qu’il a servi sous Alexandre, quels beaux vases et tout enrichis de pierreries il a rapportés de l’Asie, quels excellents ouvriers s’y rencontrent, et combien ceux de l’Europe leur sont inférieurs. Il se vante, dans une autre occasion, d’une lettre qu’il a reçue d’Antipater, qui apprend que lui troisième est entré dans la Macédoine. Il dit une autre fois que bien que les magistrats lui aient permis tels transports de bois qu’il lui plairait sans payer de tribut, pour éviter néanmoins l’envie du peuple, il n’a point voulu user de ce privilège. Il ajoute que pendant une grande cherté de vivres, il a distribué aux pauvres citoyens d’Athènes jusqu’à la somme de cinq talents ; et s’il parle à des gens qu’il ne connaît point, et dont il n’est pas mieux connu, il leur fait prendre des jetons, compter le nombre de ceux à qui il a fait ces largesses ; et quoiqu’il monte à plus de six cents personnes, il leur donne à tous des noms convenables ; et après avoir supputé les sommes particulières qu’il