Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/55

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lendemain matin et à l’heure de son lever. Vous le voyez marcher dans les rues de la ville la tête baissée, sans daigner parler à personne de ceux qui vont et qui viennent. S’il se familiarise quelquefois jusques à inviter ses amis à un repas, il prétexte des raisons pour ne pas se mettre à table et manger avec eux, et il charge ses principaux domestiques du soin de les régaler. Il ne lui arrive point de rendre visite à personne sans prendre la précaution d’envoyer quelqu’un des siens pour avertir qu’il va venir. On ne le voit point chez lui lorsqu’il mange ou qu’il se parfume. Il ne se donne pas la peine de régler lui-même des parties ; mais il dit négligemment à un valet de les calculer, de les arrêter et les passer à compte. Il ne sait point écrire dans une lettre : « Je vous prie de me faire ce plaisir ou de me rendre ce service », mais : « J’entends que cela soit ainsi ; j’envoie un homme vers vous pour recevoir une telle chose ; je ne veux pas que l’affaire se passe autrement ; faites ce que je vous dis promptement et sans différer. » Voilà son style.


DE LA PEUR OU DU DÉFAUT DE COURAGE


Cette crainte est un mouvement de l’âme qui s’ébranle, ou qui cède en vue d’un péril vrai ou imaginaire, et l’homme timide est celui dont je vais faire la peinture. S’il lui arrive d’être sur la mer et s’il aperçoit de loin des dunes ou des promontoires, la peur lui fait croire que c’est le débris de quelques vaisseaux qui ont fait naufrage sur cette côte ; aussi tremble-t-il au moindre flot qui s’élève, et il s’informe avec soin si tous ceux qui naviguent avec lui sont initiés. S’il