Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/96

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❡ Chez les femmes, se parer et se farder n’est pas, je l’avoue, parler contre sa pensée ; c’est plus aussi que le travestissement et la mascarade, où l’on ne se donne point pour ce que l’on paraît être, mais où l’on pense seulement à se cacher et à se faire ignorer : c’est chercher à imposer aux yeux et vouloir paraître selon l’extérieur contre la vérité ; c’est une espèce de menterie.

Il faut juger des femmes depuis la chaussure jusqu’à la coiffure exclusivement, à peu près comme on mesure le poisson entre queue et tête.

❡ Si les femmes veulent seulement être belles à leurs propres yeux et se plaire à elles-mêmes, elles peuvent sans doute, dans la manière de s’embellir, dans le choix des ajustements et de la parure, suivre leur goût et leur caprice ; mais si c’est aux hommes qu’elles désirent de plaire, si c’est pour eux qu’elles se fardent ou qu’elles s’enluminent, j’ai recueilli les voix, et je leur prononce de la part de tous les hommes, ou de la plus grande partie, que le blanc et le rouge les rend affreuses et dégoûtantes, que le rouge seul les vieillit et les déguise ; qu’ils haïssent autant à les voir avec de la céruse sur le visage qu’avec de fausses dents en la bouche et des boules de cire dans les mâchoires ; qu’ils protestent sérieusement contre tout l’artifice dont elles usent pour se rendre laides ; et que, bien loin d’en répondre devant Dieu, il semble au contraire qu’il leur ait réservé ce dernier et infaillible moyen de guérir des femmes.

Si les femmes étaient telles naturellement qu’elles le deviennent par artifice, qu’elles perdissent en un moment toute la fraîcheur de leur teint, qu’elles eussent le visage aussi allumé et aussi plombé qu’elles se le font par le rouge et par la peinture dont elles se fardent, elles seraient inconsolables.

❡ Une femme coquette ne se rend point sur la passion de plaire et sur l’opinion qu’elle a de sa beauté ; elle regarde le temps et les années comme quelque chose seulement qui ride et qui enlaidit les autres femmes ; elle oublie du moins que l’âge est écrit sur le visage ; la même parure qui a autrefois embelli sa jeunesse défigure enfin sa personne, éclaire les défauts de sa vieillesse : la mignardise et l’affectation l’accompagnent dans la douleur et dans la fièvre ; elle meurt parée et en rubans de couleur.