Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/100

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mais c’eſt une parure pour ceux qui ont rempli leur vie de grandes actions : je les compare à une beauté négligée, mais plus piquante. Certains hommes, contents d’eux-meſmes, de quelque action ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas mal réuſſi, & ayant ouï dire que la modeſtie ſied bien aux grands hommes, oſent eſtre modeſtes, contrefont les ſimples & les naturels : ſemblables à ces gens d’une taille médiocre qui ſe baiſſent aux portes, de peur de ſe heurter.

18. — Votre fils eſt bègue : ne le faites pas monter ſur la tribune. Votre fille eſt née pour le monde : ne l’enfermez pas parmi les veſtales. Xanthus, votre affranchi, eſt faible & timide : ne différez pas, retirez-le des légions & de la milice. « Je veux l’avancer », dites-vous. Comblez-le de biens, ſurchargez-le de terres, de titres & de poſſeſſions ; ſervez-vous du temps ; nous vivons dans un ſiècle où elles luy feront plus d’honneur que la vertu. « Il m’en coûteroit trop », ajoutez-vous. Parlez-vous ſérieuſement, Craſſus ? Songez-vous que c’eſt une goutte d’eau que vous puiſez du Tibre pour enrichir Xanthus que vous aimez, & pour prévenir les honteuſes ſuites d’un engagement où il n’eſt pas propre ?

19. — Il ne faut regarder dans ſes amis que la ſeule vertu qui nous attache à eux, ſans aucun examen de leur bonne ou de leur mauvaiſe fortune ; & quand on ſe ſent capable de les ſuivre dans leur diſgrace, il faut les cultiver hardiment & avec confiance juſques dans leur plus grande proſpérité.

20. — S’il eſt ordinaire d’eſtre vivement touché des choſes rares, pourquoy le ſommes-nous ſi peu de la vertu ?

21. — S’il eſt heureux d’avoir de la naiſſance il ne l’eſt pas moins d’eſtre tel qu’on ne s’informe plus ſi vous