Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/121

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pas de primer dans ce nouveau genre de vie comme elles faiſaient dans celuy qu’elles viennent dé quitter par politique ou par dégoût. Elles ſe perdaient gaiement par la galanterie, par la bonne chère & par l’oiſiveté ; & elles ſe perdent triſtement par la préſomption & par l’envie.

44. — Si j’épouſe, Hermas, une femme avare, elle ne me ruinera point ; ſi une joueuſe, elle pourra s’enrichir ; ſi une ſavante, elle ſaura m’inſtruire ; ſi une prude, elle ne ſera point emportée ; ſi une emportée, elle exercera ma patience, ſi une coquette, elle voudra me plaire ; ſi une galante, elle le ſera peut-eſtre juſqu’à m’aimer ; ſi une dévote, répondez, Hermas, que dois-je attendre de celle qui veut tromper Dieu, & qui ſe trompe elle-meſme ?

45. — Une femme eſt aiſée à gouverner, pourvu que ce ſoyt un homme qui s’en donne la peine. Un ſeul meſme en gouverne pluſieurs, il cultive leur eſprit & leur mémoire, fixe & détermine leur religion, il entreprend meſme de régler leur cœur. Elles n’approuvent & ne déſapprouvent, ne louent & ne condamnent, qu’après avoir conſulté ſes yeux & ſon viſage. Il eſt le dépoſitaire de leurs joies & de leurs chagrins, de leurs déſirs, de leurs jalouſies, de leurs haines & de leurs amours, il les foit rompre avec leurs galants, il les brouille & les réconcilie avec leurs maris & il profite des interrègnes. Il prend ſoyn de leurs affaires, ſollicyte leurs procès, & voit leurs juges ; il leur donne ſon médecin, ſon marchand, ſes ouvriers ; il s’ingère de les loger, de les meubler, & il ordonne de leur équipage. On le voit avec elles dans leurs carroſſes, dans les rues d’une ville & aux promenades, ainſi que dans leur banc à un ſermon, &