Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mais qui voudroit perſuader à une femme une paſſion qu’il ne ſent pas, & l’on demande s’il ne luy ſeroit pas plus aiſé d’impoſer à celle dont il eſt aimé qu’à celle qui ne l’aime point.

69. — Un homme peut tromper une femme par un feint attachement, pourvu qu’il n’en ait pas ailleurs un véritable.

70. — Un homme éclate contre une femme qui ne l’aime plus, & ſe conſole ; une femme foit moins de bruit quand elle eſt quittée, & demeure longtemps inconſolable.

71. — Les femmes guériſſent de leur pareſſe par la vanité ou par l’amour. La pareſſe au contraire dans les femmes vives eſt le préſage de l’amour.

72. — Il eſt fort sûr qu’une femme qui écrit avec emportement eſt emportée ; il eſt moins clair qu’elle ſoyt touchée. Il ſemble qu’une paſſion vive & tendre eſt morne & ſilencieuſe ; & que le plus preſſant intéreſt d’une femme qui n’eſt plus libre, celuy qui l’agite davantage, eſt moins de perſuader qu’elle aime, que de s’aſſurer ſi elle eſt aimée.

73. — Glycère n’aime pas les femmes ; elle hoit leur commerce & leurs viſites, ſe foit celer pour elles, & ſouvent pour ſes amis, dont le nombre eſt petit, à qui elle eſt ſévère, qu’elle reſſerre dans leur ordre, ſans leur permettre rien de ce qui paſſe l’amitié ; elle eſt diſtraite avec eux, leur répond par des monoſyllabes, & ſemble chercher à s’en défaire ; elle eſt ſolitaire & farouche dans ſa maiſon ; ſa porte eſt mieux gardée & ſa chambre plus inacceſſible que celles de Monthoron et d’Hémery. Une ſeule, Corinne, y eſt attendue, y eſt reçue, & à toutes les heures ; on l’embraſſe à pluſieurs repriſes ; on croit l’aimer ; on luy