Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

années le mari de Mme L…

77. — Telle autre femme, à qui le déſordre manque pour mortifier ſon mari, y revient par ſa nobleſſe & ſes alliances, par la riche dot qu’elle a apportée, par les charmes de ſa beauté, par ſon mérite, par ce que quelques-uns appellent vertu.

78. — Il y a peu de femmes ſi parfaites, qu’elles empeſchent un mari de ſe repentir du moins une fois le jour d’avoir une femme, ou de trouver heureux celuy qui n’en a point.

79. — Les douleurs muettes & ſtupides ſont hors d’uſage : on pleure, on récite, on répète, on eſt ſi touchée de la mort de ſon mari, qu’on n’en oublie pas la moindre circonſtance.

80. — Ne pourrait-on point découvrir l’art de ſe faire aimer de ſa femme ?

81. — Une femme inſenſible eſt celle qui n’a pas encore vu celuy qu’elle doit aimer. Il y avoit à Smyrne une tres-belle fille qu’on appeloit Émire, et qui étoit moins connue dans toute la ville par ſa beauté que par la ſévérité de ſes meurs, & ſurtout par l’indifférence qu’elle conſervoit pour tous les hommes, qu’elle voyait, diſçait-elle, ſans aucun péril, & ſans d’autres diſpoſitions que celles où elle ſe trouvoit pour ſes amies ou pour ſes frères. Elle ne croyoit pas la moindre partie de toutes les folies qu’on diſçait que l’amour avoit foit faire dans tous les temps ; & celles qu’elle avoit vues elle-meſme, elle ne les pouvoit comprendre : elle ne connaiſſçait que l’amitié. Une jeune & charmante perſonne, à qui elle devoit cette expérience, la luy avoit rendue ſi douce qu’elle ne penſçait qu’à la faire durer, & n’imaginoit pas par quel autre ſentiment elle pourroit jamais ſe