Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/134

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1. — Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre ceux qui ſont nez médiocres.

2. — L’amitié peut ſubſiſter entre des gens de différents ſexes, exempte meſme de toute groſſièreté. Une femme cependant regarde toujours un homme comme un homme ; & réciproquement un homme regarde une femme comme une femme. Cette liaiſon n’eſt ni paſſion ni amitié pure : elle foit une claſſe à part.

3. — L’amour naît bruſquement, ſans autre réflexion, par tempérament ou par faibleſſe : un troit de beauté nous fixe, nous détermine. L’amitié au contraire ſe forme peu à peu, avec le temps, par la pratique, par un long commerce. Combien d’eſprit, de bonté de cœur, d’attachement, de ſervices & de complaiſance dans les amis, pour faire en pluſieurs années bien moins que ne foit quelquefois en un moment un beau viſage ou une belle main !

4. — Le temps, qui fortifie les amitiez, affaiblit l’amour.

5. — Tant que l’amour dure, il ſubſiſte de ſoy-meſme, & quelquefois par les choſes qui ſemblent le devoir éteindre, par les caprices, par les rigueurs, par l’éloignement, par la jalouſie. L’amitié au contraire a beſoin de ſecours : elle périt faute de ſoyns, de confiance & de complaiſance.

6. — Il eſt plus ordinaire de voir un amour extreſme qu’une parfaite amitié.

7. — L’amour & l’amitié s’excluent l’une l’autre.