Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/159

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bien, qui louent en nous sincèrement des choses louables.

36. — Un homme d’esprit, et qui est né fier, ne perd rien de sa fierté et de sa raideur pour se trouver pauvre ; si quelque chose au contraire doit amollir son humeur, le rendre plus doux et plus sociable, c’est un peu de prospérité.

37. — Ne pouvoir supporter tous les mauvais caractères dont le monde est plein n’est pas un fort bon caractère : il faut dans le commerce des pièces d’or et de la monnaie.

38. — Vivre avec des gens qui sont brouillés, et dont il faut écouter de part et d’autre les plaintes réciproques, c’est, pour ainsi dire, ne pas sortir de l’audience, et entendre du matin au soir plaider et parler procès.

39. — L’on sait des gens qui avaient coulé leurs jours dans une union étroite : leurs biens étaient en commun, ils n’avaient qu’une même demeure, ils ne se perdaient pas de vue. Ils se sont aperçus à plus de quatre-vingts ans qu’ils devaient se quitter l’un l’autre et finir leur société ; ils n’avaient plus qu’un jour à vivre, et ils n’ont osé entreprendre de le passer ensemble ; ils se sont dépêchés de rompre avant que de mourir ; ils n’avaient de fonds pour la complaisance que jusque-là. Ils ont trop vécu pour le bon exemple : un moment plus tôt ils mouraient sociables, et laissaient après eux un rare modèle de la persévérance dans l’amitié.

40. — L’intérieur des familles est souvent troublé par les défiances, par les jalousies et par l’antipathie pendant que des dehors contents, paisibles et enjoués nous trompent, et nous y font supposer une paix qui n’y est point : il y en a peu qui gagnent à être approfondies. Cette visite que vous rendez vient de suspendre une querelle domestique, qui n’attend que votre retraite pour recommencer.

41. — Dans la société, c’est la raison qui plie la première. Les plus sages sont souvent menés par le plus