Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/164

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par un commerce d’esprit. Ils laissaient au vulgaire l’art de parler d’une manière intelligible ; une chose dite entre eux peu clairement en entraînait une autre encore plus obscure, sur laquelle on enchérissait par de vraies énigmes, toujours suivies de longs applaudissements : par tout ce qu’ils appelaient délicatesse, sentiments, tour et finesse d’expression, ils étaient enfin parvenus à n’être plus entendus et à ne s’entendre pas eux-mêmes. Il ne fallait, pour fournir à ces entretiens, ni bon sens, ni jugement, ni mémoire, ni la moindre capacité : il fallait de l’esprit, non pas du meilleur, mais de celui qui est faux, et où l’imagination a trop de part.

66. — Je le sais, Théobalde, vous êtes vieilli ; mais voudriez-vous que je crusse que vous êtes baissé, que vous n’êtes plus poète ni bel esprit, que vous êtes présentement aussi mauvais juge de tout genre d’ouvrage que méchant auteur que vous n’avez plus rien de naïf et de délicat dans ; a conversation ? Votre air libre et présomptueux me rassure, et me persuade tout le contraire. Vous êtes donc aujourd’hui tout ce que vous fûtes jamais, et peut-être meilleur ; car si à votre âge vous êtes si vif et si impétueux, quel nom Théobalde, fallait-il vous donner dans votre jeunesse et lorsque vous étiez la coqueluche ou l’entêtement de certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur votre parole, qui disaient : Cela est délicieux ; qu’a-t-il dit ?

67. — L’on parle impétueusement dans les entretiens, souvent par vanité ou par humeur, rarement avec assez d’attention : tout occupé du désir de répondre à ce qu’on n’écoute point, l’on suit ses idées et on les explique sans le moindre égard pour les raisonnements d’autrui l’on est bien éloigné de trouver ensemble la vérité, l’on n’est pas encore convenu