Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

condition : l’une des deux, pour ſe tirer d’une extreſme misère, cherche à ſe placer ; elle entre au ſervice d’une fort grande dame & l’une des premières de la cour, chez ſa compagne.

7. — Si le financier manque ſon coup, les courtiſans diſent de luy : « C’eſt un bourgeois, un homme de rien, un malotru » ; s’il réuſſit, ils luy demandent ſa fille.

8. — Quelques-uns ont foit dans leur jeuneſſe l’apprentiſſage d’un certain métier, pour en exercer un autre, & fort différent, le reſte de leur vie.

9. — Un homme eſt laid de petite taille, & a peu d’eſprit. L’on me dit à l’oreille : « Il a cinquante mille livres de rente. » Cela le concerne tout ſeul & il ne m’en fera jamais ni pis ni mieux ; ſi je commence à le regarder avec d’autres yeux, & ſi je ne ſuis pas maître de faire autrement, quelle ſottiſe !

10. — Un projet aſſez vain ſeroit de vouloir tourner un homme fort ſot & fort riche en ridicule ; les rieurs ſont de ſon coſté.

11. — N**, avec un portier ruſtre, farouche, tirant ſur le Suiſſe, avec un veſtibule & une antichambre, pour peu qu’il y faſſe languir quelqu’un & ſe morfondre, qu’il paraiſſe enfin avec une mine grave & une démarche meſurée, qu’il écoute un peu & ne reconduiſe point : quelque ſubalterne qu’il ſoyt d’ailleurs, il fera ſentir de luy-meſme quelque choſe qui approche de la conſidération.

12. — Je vais, Clitiphon, à votre porte ; le beſoin que j’ai de vous me chaſſe de mon lit & de ma chambre : plût aux Dieux que je ne fuſſe ni votre client ni votre facheux ! Vos eſclaves me diſent que vous eſtes enfermé, & que vous ne pouvez m’écouter que d’une heure entière. Je reviens avant le temps qu’ils m’ont marqué, &