Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/194

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dire ce qu’il ſçait, ou de parler d’événements qui luy ſont connus ; & s’il le foit quelquefois, il s’en tire mal, il croit peſer à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais froidement ; il ne ſe foit pas écouter il ne foit point rire. Il applaudit, il ſourit à ce que les autres luy diſent, il eſt de leur avis ; il court, il vole pour leur rendre de petits ſervices. Il eſt complaiſant, flatteur, empreſſé ; il eſt myſtérieux ſur ſes affaires, quelquefois menteur ; il eſt ſuperſtitieux, ſcrupuleux, timide. Il marche doucement & légèrement, il ſemble craindre de fouler la terre ; il marche les yeux baiſſez, & il n’oſe les lever ſur ceux qui paſſent. Il n’eſt jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour diſcourir ; il ſe met derrière celuy qui parle, recueille furtivement ce qui ſe dit, & il ſe retire ſi on le regarde. Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place ; il va les épaules ſerrées, le chapeau abaiſſé ſur ſes yeux pour n’eſtre point vu ; il ſe replie & ſe renferme dans ſon manteau ; il n’y a point de rues ni de galeries ſi embarraſſées & ſi remplies de monde, où il ne trouve moyen de paſſer ſans effort, & de ſe couler ſans eſtre aperçu. Si on le prie de s’aſſeoir, il ſe met à peine ſur le bord d’un ſiège ; il parle bas dans la converſation, & il articule mal ; libre néanmoins ſur les affaires publiques, chagrin contre le ſiècle, médiocrement prévenu des miniſtres & du miniſtère. Il n’ouvre la bouche que pour répondre ; il touſſe, il ſe mouche ſous ſon chapeau, il crache preſque ſur ſoy, & il attend qu’il ſoyt ſeul pour éternuer, ou, ſi cela luy arrive, c’eſt à l’inſu de la compagnie : il n’en coûte à perſonne ni ſalut ni compliment. Il eſt pauvre.


De la ville