Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/203

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le nom d’une ſimple bourgeoiſe ? Qui ſera mieux fourni de vaudevilles ? Qui preſtera aux femmes les Annales galantes & le Journal amoureux ? Qui ſaura comme luy chanter à table tout un dialogue de l’Opéra, & les fureurs de Roland dans une ruelle ? Enfin, puiſqu’il y a à la ville comme ailleurs de fort ſottes gens, des gens fades, oiſifs, déſoccupez, qui pourra auſſi parfaitement leur convenir ?

14. — Théramène étoit riche & avoit du mérite ; il a hérité, il eſt donc tres-riche & d’un tres-grand mérite. Voilà toutes les femmes en campagne pour l’avoir pour galant, & toutes les filles pour épouſeur. Il va de maiſons en maiſons faire eſpérer aux mères qu’il épouſera. Eſt-il aſſis, elles ſe retirent pour laiſſer à leurs filles toute la liberté d’eſtre aimables, & à Théramène de faire ſes déclarations. Il tient icy contre le mortier, là il efface le cavalier ou le gentilhomme. Un jeune homme fleuri, vif, enjoué, ſpirituel n’eſt pas ſouhaité plus ardemment ni mieux reçu ; on ſe l’arrache des mains, on a à peine le loiſir de ſourire à qui ſe trouve avec luy dans une meſme viſite. Combien de galants va-t-il mettre en déroute ! quels bons partis ne fera-t-il point manquer ? Pourra-t-il ſuffire à tant d’héritières qui le recherchent ? Ce n’eſt pas ſeulement la terreur des maris, c’eſt l’épouvantail de tous ceux qui ont envie de l’eſtre & qui attendent d’un mariage à remplir le vide de leur conſignation. On devroit proſcrire de tels perſonnages ſi heureux, ſi pécunieux, d’une ville bien policée, ou condamner