Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/23

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qu'il a une mauvaise santé. Il dit à celui qui lui emprunte de l'argent à intérêt, ou qui le prie de contribuer de sa part à une somme que ses amis consentent de lui prêter, qu'il ne vend rien, qu'il ne s'est jamais vu si dénué d'argent; pendant qu'il dit aux autres que le commerce va le mieux du monde, quoique en effet il ne vende rien. Souvent, après avoir écouté ce que l'on lui a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eu la moindre attention; il feint de n'avoir pas aperçu les choses où il vient de jeter les yeux, ou s'il est convenu d'un fait, de ne s'en plus souvenir. Il n'a pour ceux qui lui parlent d'affaire que cette seule réponse: «J'y penserai.» Il sait de certaines choses, il en ignore d'autres, il est saisi d'admiration, d'autres fois il aura pensé comme vous sur cet événement, et cela selon ses différents intérêts. Son langage le plus ordinaire est celui-ci: «Je n'en crois rien, je ne comprends pas que cela puisse être, je ne sais où j'en suis»; ou bien: «Il me semble que je ne suis pas moi-même»; et ensuite: «Ce n'est pas ainsi qu'il me l'a fait entendre; voilà une chose merveilleuse et qui passe toute créance; contez cela à d'autres; dois-je vous croire? ou me persuaderai-je qu'il m'ait dit la vérité?», paroles doubles et artificieuses, dont il faut se défier comme de ce qu'il y a au monde de plus pernicieux. Ces manières d'agir ne partent point d'une âme simple et droite, mais d'une mauvaise volonté, ou d'un homme qui veut nuire; le venin des aspics est moins à craindre. De la flatterie

La flatterie est un commerce honteux qui n'est utile qu'au flatteur. Si un flatteur se promène avec quelqu'un dans la place: «Remarquez-vous,