Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/74

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qu’il aura dans le monde par l’impreſſion, ou quel ſera ſon ſort parmi les habiles : ils ne haſardent point leurs ſuffrages, & ils veulent eſtre portez par la foule & entraînez par la multitude. Ils diſent alors qu’ils ont les premiers approuvé cet ouvrage, & que le public eſt de leur avis. Ces gens laiſſent échapper les plus belles occaſions de nous convaincre qu’ils ont de la capacité & des lumières, qu’ils ſavent juger, trouver bon ce qui eſt bon, & meilleur ce qui eſt meilleur. Un bel ouvrage tombe entre leurs mains, c’eſt un premier ouvrage l’auteur ne s’eſt pas encore foit un grand nom, il n’a rien qui prévienne en ſa faveur, il ne s’agit point de faire ſa cour ou de flatter les grands en applaudiſſant à ſes écrits ; on ne vous demande pas, Zélotes, de vous récrier : C’eſt un chef-d’œuvre de l’eſprit, l’humanité ne va pas plus loin ; c’eſt juſqu’où la parole humaine peut s’élever ; on ne jugera à l’avenir du goût de quelqu’un qu’à proportion qu’il en aura pour cette pièce ; phraſes outrées, dégoûtantes, qui ſentent la penſion ou l’abbaye, nuiſibles à cela meſme qui eſt louable & qu’on veut louer. Que ne diſiez-vous ſeulement : « Voilà un bon livre » ? Vous le dites, il eſt vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il eſt imprimé par toute l’Europe & qu’il eſt traduit en pluſieurs langues : il n’eſt plus temps.

22. — Quelques-uns de ceux qui ont lu un ouvrage en rapportent certains traits dont ils n’ont pas compris le ſens, & qu’ils altèrent encore par tout ce qu’ils y mettent du leur ; & ces traits ainſi corrompus & défigurez, qui ne ſont autre choſe que leurs propres penſées & leurs expreſſions, ils les expoſent à la cenſure ſoutiennent qu’ils ſont