Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que je luy lis mon ouvrage, il l’écouter. Eſt-il lu il me parle du ſien. « Et du voſtre, me direz-vous qu’en penſe-t-il ? » — Je vous l’ai déjà dit, il me parle du ſien.

26. — Il n’y a point d’ouvrage ſi accompli qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, ſi ſon auteur vouloit en croire tous les cenſeurs qui oſtent chacun l’endroit qui leur plaît le moins.

27. — C’eſt une expérience faite que, s’il ſe trouve dix perſonnes qui effacent d’un livre une expreſſion ou un ſentiment, l’on en fournit aiſément un pareil nombre qui les réclame. Ceux-ci s’écrient : « Pourquoy ſupprimer cette penſée ? elle eſt neuve, elle eſt belle, & le tour en eſt admirable » ; & ceux-là affirment, au contraire, ou qu’ils auraient négligé cette penſée, ou qu’ils luy auraient donné un autre tour. « Il y a un terme, diſent les uns, dans votre ouvrage, qui eſt rencontré & qui peint la choſe au naturel ; il y a un mot, diſent les autres, qui eſt haſardé, & qui d’ailleurs ne ſignifie pas aſſez ce que vous voulez peut-eſtre faire entendre » ; & c’eſt du meſme troit & du meſme mot que tous ces gens s’expliquent ainſi, & tous ſont connaiſſeurs & paſſent pour tels. Quel autre parti pour un auteur, que d’oſer pour lors eſtre de l’avis de ceux qui l’approuvent ?

28. — Un auteur ſérieux n’eſt pas obligé de remplir ſon eſprit de toutes les extravagances, de toutes les ſaletez, de tous les mauvais mots que l’on peut dire, & de toutes les ineptes applications que l’on peut faire au ſujet de quelques endroits de ſon ouvrage, & encore moins de les ſupprimer. Il eſt convaincu que quelque ſcrupuleuſe exactitude que l’on ait dans ſa manière d’écrire, la raillerie froide des mauvais plaiſants eſt un mal inévitable, &