Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/95

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DU MERITE PERSONNEL


Qui peut, avec les plus rares talents & le plus excellent mérite, n’eſtre pas convaincu de ſon inutilité, quand il conſidère qu’il laiſſe en mourant un monde qui ne ſe ſent pas de ſa perte, & où tant de gens ſe trouvent pour le remplacer ?

2. — De bien des gens il n’y a que le nom qui vale quelque choſe. Quand vous les voyez de fort près, c’eſt moins que rien ; de loin ils impoſent.

3. — Tout perſuadé que je ſuis que ceux que l’on choiſit pour de différents emplois, chacun ſelon ſon génie & ſa profeſſion, font bien, je me haſarde de dire qu’il ſe peut faire qu’il y ait au monde pluſieurs perſonnes, connues ou inconnues, que l’on n’emploie pas, qui feraient tres-bien ; & je ſuis induit à ce ſentiment par le merveilleux ſuccès de certaines gens que le haſard ſeul a placez, & de qui juſques alors on n’avoit pas attendu de fort grandes choſes. Combien d’hommes admirables, & qui avaient de tres-beaux génies, ſont morts ſans qu’on en ait parlé ! Combien vivent encore dont on ne parle point, & dont on ne parlera jamais !

4. — Quelle horrible peine a un homme qui eſt ſans proſneurs & ſans cabale, qui n’eſt engagé dans aucun corps, mais qui eſt ſeul, & qui n’a que beaucoup de mérite pour toute recommandation, de ſe faire jour à travers l’obſcurité où il ſe trouve, & de venir au niveau d’un fat qui eſt en crédit !

5. — Perſonne preſque