Si l’œil humain pouvait descendre
Au fond des cœurs désenchantés !
— Après le feu reste la cendre...
Chantez, grillons, grillons, chantez.
Parfois, comme des salamandres,
Les flammes dansent sous mes yeux,
Traçant d’innombrables méandres
Dans leurs élans capricieux ;
A cette fête fantastique.
Grillons, vous êtes invités.
Car vous en êtes la musique...
Chantez, grillons, grillons, chantez.
Puis, c’est une Sodome ardente
Que Dieu d’un regard embrasa...
Et je songe à l’enfer de Dante :
Lasciat’ ogni spei-anza...
— Est-il vrai ? Dieu les abandonne
Ceux que son fils a raclietés ?...
Non ! il punit, puis il pardonne ;
Chantez, grillons, grillons, chantez.
La neige au seuil de ma demeure
Attache son suaire blanc,
Et l’eau, de ma vitre qui pleure,
Tombe avec un bruit morne et lent ;
Le vent souffle au dehors, dans l’ombre ;
Et pourtant, grillons, écoutez !
Plus que la nuit mon âme est sombre...
Chantez, grillons, grillons, chantez.
A deux genoux dans sa chaumière
— C’était la nuit aussi, jadis 1 —
On murmurait près de sa bière
A voix basse : De profundis !
Je contemplais ses traits livides
Avec des yeux épouvantés...
— Les cercueils pleins font les cœurs vides-Chantez,
grillons, grillons, chantez.
Dans l’àtre à la lueur blafarde,
La flamme a cessé de courir ;
Mon foyer pâli me regarde
Avec des yeux qui vont mourir ;
La vapeur, blanche d’étincelles,
S’en élève en flots argentés...
L’âme ainsi retrouve ses ailes ;
Chantez, grillons, grillons, chantez.
Mais pourquoi toutes ces pensées
Dans lesquelles mon cœur s’aigrit ?
Je les croyais bien effacées
De mon âme et de mon esprit. . .
— Des compagnons que j’eus sur terre,
Vous, les seuls qui soyez restés,
Pour endormir le solitaire,
Chantez, grillons, grillons, chantez.
Ch. SUPERNANT.
LA PART DU POÈTE
(iMlïÉ DE SCHILLER)
« Prenez possession du monde
— Aux mortels un jour cria Dieu —
(i C’est à vous la terre, à vous l’onde,
La vallée oii le torrent gronde.
Le volcan d’où jaillit le feu ! »
Et la voix se taisait à peine
Que déjà chacun s’emparait,
Le noble d’un vaste domaine,
Le cultivateur de la plaine.
Le bûcheron de la forêt.
Le marchand de mille matières
Bientôt remplit un entrepôt.
Et le roi, posant des barrières.
Aux villes, aux champs, aux rivières,
Réclama la dime et l’impôt...
La curée splendide était faite ;
Soudain, l’âme pleine de foi,
Un homme au ciel leva la tête
Et dit : « Moi, je suis le poète.
Père, qu’as-tu gardé pour moi ? »
— « Eh quoi ! fit Dieu, pas une obole
N’échut au plus pauvre de tous ?..
Où donc étais-tu, tète folle.
Lorsque retentit ma parole ? «
— « Seigneur, j’étais à tes genoux.
« Absorbé dans le grand mystère,
Ebloui par ta majesté.
J’ai perdu ma part de la terre ;
Me laisseras-tu, juge austère,
Atout jamais déshérité ? «
— « Hélas, par ma volonté même.
Sur terre plus rien n’est à moi.
Dit Dieu dans sa bonté suprême ;
Mais viens, ô doux rêveur que j’aime.
Mon ciel me reste, il est à toi ! »
L. -Henry LECOMTE.
SOCIÉTÉ LYRIQUE ET LITTÉRAIRE DU CAVEAU
BANQUET DU 6 FÉVRIER
Musc, changeons de style et quittons la satire.
Boileau a raison. Ainsi ferai-je aujourd’hui. Le Caveau a.
daigné, non pas s’émouvoir, mais se souvenir de quelques
plaisanteries nioffensives, du moins dans l’intention, dirigées
dans ce journal contre l’usage antique et solennel, comme on
dit dans .tlialie, des tosles présidentiels. Le toste s’est
redressé, ma foi, et vigoureusement. De même que je ne
sais quel philosophe prouvait — en marchant — le mouvement,
le tosto a démontré, par son allure piquante quoique
courtoise, et aussi par des précédents ingénieux, qu’il est
admissible, qu’il est utile, qu’il est indispensable. Je n’irai
pas à rencontre. Une cause, même mativaise, si bien plaidée,
est vite gagnée ; à plus forte raison, si elle est bonne.
Puis a commencé le défilé des chansons : une vingtaine
environ, ce qui est un joli chiffre. La partie sérieuse est la
moins riche, comme quantité, s’entend. La Danse macabre,
de Piesse, bien pensée et ciselée avec art ; l’Immortalité de
Molière, sirophes larges et animées de Garraud ; Murger et
Musette, de Vilmay, qui se propose de traiter successivement
en chansons les couples célèbres, et qui a bien réussi ce
premier tableau. Ajoutons-y les Vins de France, que Charles
Vincent célèbre avec une chaleur digne d’eux, non-seulement
en poète, mais en goui’met, et le Pâtre, de Louis
de Courmont, tableau rustique vaste comme la nature, et
d’une poésie chaudement colorée.
Mouton-Dufraisse, Ripa.ult, Jullien, Lesueur donnent la
note gaie : Le Pique-assiette, les Raccrocs, l’Homme
déclassé. Les Bêtises, sont des croquis fort différents de ton
et de manière, mais remplis d’esprit et de traits heureux.
Fénée, qui n’est jamais le dernier quand il s’agit de
joyeuse humeur, a rajeuni un vieux sujet bien des fois
traité, le Marchand de plumes ; c’est, comme on le devine,
une série de rapprochements ou de jeux de mots. Alexis
Dalès avait écrit il y a longtemps pour les chanteurs des rues
quelques couplets sur ce sujet, mais il s’était visiblement
inspiré de Charles Lepage. Le nouvel arrangeur n’a pas été
le plus maladroit.