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L’AVENUE



Une rhythmique allée haute et découverte
De troncs allignés symétriquement,
Ifs et tilleuls aux feuilles rousses et vertes
Se prolonge sous le crépuscule indéfiniment.

Comment j’y fus mené, — par quel sortilège ?
Je ne sais, — et je ne pourrais dire vraiment
Quel rhythme mauvais était dans cette allée de rêve,
Où ma pauvre âme s’égarait solitairement.

Une branche déplacée, ou bien un peu de lumière
D’une lune qui se soulevait me fit te voir.
L’étonnement de te voir là me fit taire ;
Mais tu semblais ne pas savoir que nous étions là.

Ta robe blanche apparue entre les branches
D’un arbre y jetait comme une blanche clarté —
Puis l’allée continuait aussi logique,
Comme si tu ne t’y étais pas arrêtée.

Tes mains s’ouvrirent dans un geste fatidique
Les paumes offertes à la lune qui luit ;
Pendant que de ses vocalises mécaniques,
Un rossignol faisait des trous dans la nuit.



SOLSTICE



Un chant de cor a retenti dans l’air sonore.
Nous avons compris qu’il ne fallait plus bouger ;
Le cor s’est tu, mais la vibration monte encore
Vers l’horizon cuivré.

Les halliers d’or se sont inclinés vers les pailles.
Les champs étaient par meules jaunes rangés ;
Un soleil mort luisait au fond du paysage
Et des forêts hautes s’étaient dressées…

Il y avait sur les lisières des hêtrées
Des corneilles qui ne voulaient pas s’endormir,
Et on voyait entre les branches enchevêtrées
De cerfs passants qui s’étaient arrêtés…

Pourquoi ce cor a-t-il vibré dans le silence ?
Quelle heure est-il que ce soleil ne dorme pas ?
Les corneilles, sur les halliers que le soir balance,
Ces corneilles ne se tairont donc pas ?…

Des pleurs encor ! ah ! ça devient trop monotone.
Nous aurions dû rester à la maison ce soir.
Ah ! voici déjà les feuilles mortes de l’automne,
Qui tourbillonnent dans le vent du soir…