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Prince of song more sweet than honey, lyric lord,
Not thy France here only mourns a light adored,
One whose love-lit fame the world inheriteth.
Strangers too, now brethren, hail with heart’s accord,
Life so sweet as this that dies and casts off death.


ALGERNON CHARLES SWINBURNE.




LA BALLADE DE MÉLICERTE
À la mémoire de Théodore de Banville


La Mort, lumière surpassant en éclat la vie, mande aux cieux de résorber
Étoile à étoile les âmes dont la lueur fit divine la terre.
La mort, nuit surpassant en éclat le jour, voit flagrer et fleurir,
Fleur à fleur, et soleil à soleil, tes renommées qui brillent
Immortelles à son firmament, plus hautes que la vie ne contempla leur signe souverain
Simonide de Céos mort jadis, récemment ressuscité,
Rendu par Dieu une fois de plus, une fois de plus pleuré des hommes,
Reluisait hier soir ô gloire frêle comme le souffle.
Frêle ? mais le souffle de la renommée ravive, avive, couve en sa garde
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.

Le maternel amour, le frisson ravi de la mer, de qui le flanc
Engendre une éternelle vie de joie qui mord comme l’âpreté de l’onde,
L’orgueil de la chanson, et la joie d’oser la destinée du chanteur,
La tristesse douce comme le sommeil, et le rire clair comme un vin,
Empourprèrent et emplirent de fragances embrasées sa ligne lyrique.
Et telle la conque profère, comme la corde au heurt du plectre,
Une musique disant toute la musique mer en elle accumulées,
Poète bien-aimé, dont la louange est dite par notre douleur,
Telles tes chansons gardant ton âme, et, telles, restituent
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.

Cote à côte, nous pleurâmes au tombeau d’or de Gautier :
Ici, en esprit, me voici debout et qui pleure auprès du tien ;
Pourtant nulle haleine de mort n’en provient hostile, nulle ombre ne s’en projette lugubre,
Seule une lumière à éblouir l’or vierge du suprême filon,
Seule une vapeur d’encens tiède du tabernacle même de l’amour.
Ni la rivière de ténèbres, le gué stygien qui s’interpose,
Ni l’heure qui vient férir et fendre comme une épée.
Ni la nuit victorieuse d’une lumière périssable
Ne sauront abattre, ni soumettre, ni séparer de nous par quelque arrêt abhorré
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.

Prince de la chanson plus douce que le miel, lyrique Seigneur,
Ta France ne pleure pas seule, ici, une lumière qu’elle adorait,
De qui la renommée que l’amour illumine est l’héritage du monde :
Des étrangers aussi, frères aujourd’hui, saluent en unisson de cœur
Une vie si douce que celle ci qui meurt et rejette la mort.


ALGERNON CHARLES SWINBURNE.