Page:La Conque, 1891-1892.pdf/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




Pour mon maître Leconte de Lisle


L’AMRITA DES DIEUX





Dans la nuit merveilleuse, au cœur du ciel posée,
La Lune resplendit pleine de l’Amrita
Qui, des pressoirs divins, en limpide rosée,
Sang clair des astres mûrs, lentement s’égoutta.

Tous les dieux vont venir boire cette lumière,
Ce philtre de jeunesse et d’immortalité.
Il leur rendra l’éclat de ta splendeur première,
Et de charmes nouveaux nimbera leur beauté !

Hors des swargas lointains ils se hâtent en foule
Les dieux couleur d’opale, aux yeux fixes, les dieux
Terribles ou très-bons. Emportés par la houle
De leur désir, ils vont, vers le vin radieux.

Déjà le chœur superbe en désordre s’attroupe
Autour de l’Amrita, l’etincelant trésor ;
D’impétueuses soifs font déborder la coupe
Et sur le monde obscur tomber des gouttes d’or.

Dans l’ombre, un homme est là, le regard aux étoiles,
Sans rêves, le cœur lourd, confusément troublé,
Mais soudain, à ses yeux, se déchirent les voiles :
Le breuvage divin sur sa lèvre a coulé !

Dans l’être sans pensée une âme vient d’éclore
Sous l’éclaboussement de la rosée en feu ;
Il voit les immortels, en tremblant il adore,
Il pleure, et tend les bras vers le firmament bleu.