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Page:La Croix du Maine - Du Verdier - Les Bibliothèques françoises, t. 5, 1773.djvu/506

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abreuver, ni même essarter ces hayes épineuses qui lui faisoient ombre. Croyez que si les antiques Romains eussent été auffi négligens à cultiver leur Latin, lorsqu’il commençoit à pousser ses rejetons, il ne fût en fi peu de temps devenu si grand j mais eux, comme bons Laboureurs, Panachèrent premièrement d’un lieu sauvage, pour se le faire domestique ; puis, afin qu’il portât plutôt ses fruits, Sc qu’il fussent plus beaux & meilleurs, en cmondânt les inutiles branches, ils y entèrent quelques greffes, subtilement prises duGrec, qu’ils s’appliquèrent soudainement en sorte, & les rendirent fi semblables au tronc, que maintenant ils ne semblent point adoptifs, áins naturels : de — là bourgeonnèrent, fleurirent 8c fructifièrent ces belles couleurs d’éloquence, avec ces nombres & ce bel ordre que tant vous exhaussez, lesquelles font ordinairement produites par toutes langues, non tant parleur naturel, que secourues de l’artifice d’autrui, dont nous avons exemple, en ce que, par Penscignementde Thrafimac, de Gorgias, &de Théodore, le nombre est né, Sc qu’Isicrate lui a finalement donné perfection. Si donc les Grecs & Latins, plus curieux dela cultute de leur langue, que nous de la nôtre, n’ont trouvé en icelle ni la quantité, ni la grâce, sinon avec le temps, Sc après grands travaux, nous devons’nous émerveiller si, ce qui’nous suffiroit en notre langue, nous est encore défaillant. Si ne doit-on pour tel argument la dépriser comme vile & de néant. Il est vrai que la Latine est d’assez meilleure ; mais combien il nous seroit meilleur de dire, elle fut, Sc toutefois bien qu’elle Tait été pat le passé, Sc soit encore, si viendrat-il peut-être ùn temps que la vulgaire sera douée d’autant plus grande excellence comme maintenant, elle n’est point comparable à la Grecque pour le peu de vertu Sc de grâce qui est en elle en ce temps-ci. Lorsque naissoit la Latine, la Grecque étoit jà grande : parquoi si vos raisons avoient lieu, nos prédécesseurs ne dévoient laisser prendre racine à une nouvelle langue : autant pouvons-nous dire de la Grecque au regard de l’Hébraïque, Sc par ainsi on peut conclure, à votre dire, que le monde-ne doit avoir qu’une feule langue pour écrire Sc parler. De-là viendroit qu’en pensant seulement arguer la langue Tuscane, afin de l’extirper, moyennant vos raisons, hors du monde, votis parleriez auffi contre la Grecque & la Latine, & non-seulement contre les langues du monde, mais auffi contre Dieu, qui a voulu par son immuable ordonnance, que nulle chose créée ne dure perpétuellement, ains que d’heure à autre leur état se change ores en augmentation, ores en diminution, jusqu’à ce qu’une fois tout finisse, fans jamais plus se renouveler. Vous me dites, notre langue arrête trop à former fa perfection, 8c je réponds être vrai : mais si est-ce que tel retardement ne doit faire accroire être impossible qu’elle devienne parfaite : plutôt nous peut assurer que, dès-lors qu’elle nous fera acquise, nous en jouirons plus long-temps’; cat nature veut que Parbre qui bientôt croît, fleurit, 8c porte fruit, soit bientôt vieil Sc meure, Sc au contraire que celui dure par longues années, lequel aura été long —temps à faire ses rameaux. Notre langue donc, en gardant fa perfection, pour avoir été par plusieurs ans cherchée & désirée, sera peut-être semblable l aucuns hommes,. lesquels, de tant plus ils font difficiles à appren—.