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DICTIONNAIRE HISTORIQUE
de
L’ANCIEN LANGAGE FRANÇOIS
ou
GLOSSAIRE DE L’ANCIENNE LANGUE FRANÇOISE
DEPUIS SON ORIGINE JUSQU’AU SIECLE DE LOUIS XIV


A


On peut considérer l’A comme lettre, ou comme mot. C’est comme lettre que nous le considérerons d’abord. Nous exposerons ensuite dans des articles séparés, ses diverses significations, lorsqu’il est employé comme exclamation, comme préposition, ou comme adverbe de lieu.

La lettre A, ayant un son plus ouvert et plus éclatant que les autres, nos anciens Poëtes François, surtout les Provençaux, l’ont employée par préférence dans leurs rimes, lorsqu’ils ont cherché à procurer plus de pompe à leurs vers, spécialement dans les récits des combats.

Les Grecs et les Latins leur en avoient donné l’exemple : leurs Poëtes ont affecté pareillement le retour fréquent de cette lettre, dans les vers qu’ils ont voulu rendre plus harmonieux.

On a dit proverbialement marqué à l’A, pour désigner un homme de probité éminente, proprement un homme de la principale, de la meilleure fabrique, par allusion aux monnoies ; celles qui se fabriquent dans l’Hôtel des monnoies de Paris, étant marquées de la lettre A. (Voy. Pasq. Rech. liv. VIII, page 696.)

L’A se trouve souvent employé à la tête de divers mots, soit à dessein, pour ajouter à leur signification, soit par abus et par ignorance, en réunissant mal à propos cette lettre avec le mot qui la suit, et dont elle devoit être séparée ; mais dans ces deux cas, elle est employée comme préposition. Nous en donnerons ci-après des exemples sous l’article A, préposition.

A, exclamation. Ah !

Le son de l’A, celui de tous qui se forme le plus aisément, et qui n’est en quelque sorte qu’une aspiration, est l’expression naturelle du sentiment. Elle est mieux caractérisée en joignant à l’a la lettre h ; et c’est ainsi que nous écrivons aujourd’hui cette exclamation. Autrefois on se contentoit de la lettre A ; ainsi nous lisons « a, Sire » pour Ah ! Sire. (Voy. Modus et Racio, MS. fol. 218. V°) « A, fait Dame Aalis, ce n’est mie à moy » pour ah ! ce n’est point à moy. (Voy. id. fol. 226, R°.)

A, préposition. A. De. Par. En. Pour. Avec. Selon. Suivant. Après.

La préposition, dit M. du Marsais, supplée aux rapports qu’on ne sauroit marquer par les terminaisons des mots. Nous n’avons point de cas en François, si l’on en excepte quelques pronoms ; de là la nécessité de faire usage des prépositions plus souvent qu’en Latin, pour déterminer les rapports des objets de nos pensées, lorsque la place des mots ne les indique pas. Ces rapports sont presque infinis, et le nombre des prépositions infiniment borné, d’où vient qu’on est obligé de donner divers usages à la même préposition.

L’A, comme préposition, conserve plusieurs significations différentes ; mais on ne dit plus « à ce mesmement » que pour semblablement, pareillement à ce que. » Il n’y a homme au monde, quand il se voit deshérité, que il peust jamais aymer celluy qui l’a deshérité ([1]) : à ce mesmement que vous deshéritastes mon pere et moy. » (Lanc. du Lac, T. III, fol. 46, R° col. 2.)

On dit encore en différentes provinces : le livre à Jean, pour le livre de Jean, etc. ; alors cet A marque un rapport d’appartenance ; c’est ainsi qu’en parlant de lieux dédiés et consacrés aux Saints, l’Auteur du Roman MS. de Gérard de Roussillon en françois, appelle lieu à St Pierre et à Ste Magdeleine-du-Mont, les églises de St Pierre et de la Madeleine, que Gérard fonda, la première à Auxerre, et la seconde à Soissons. Dans le détail des fondations que fit le Duc Gérard avec Berthe sa femme, on lit :

A Auxerre tout droit dedans la suborbie ([2])
Fondèrent-ils aussi une riche Abbaye.
Puis n’y ot ([3]) que Moines, si com les chartres dient :
Or n’y a que Chanoines, qui Dieu servent et prient.
Ils sont abergiés ([4]) et cloux ([5]) de bonne pierre,
L’on appelle le lieu à Monseigneur St. Pierre :

  1. dépouillé, dépossédé.
  2. faubourg
  3. n’y eut
  4. logés
  5. clos, fermés