Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/146

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plus sensibles quand ils sont aimés.

— Vous ne tomberez jamais dans ce malheur lui répliquai-je, mais, seigneur, je vous laisse la liberté d'aimer tout ce que vous ne connaîtrez point, pourvu que vous me permettiez de n'aimer : qu'une personne que je connaîtrai assez pour l'estimer et pour être assuré de trouver en elle de quoi me rendre heureux, quand j'en serai aimé. J'avoue encore que je voudrais qu'elle ne fût point prévenue en faveur d'un autre amant.

— Et moi, interrompit don Ramire, je trouverais plus de plaisir à me rendre maître d'un coeur qui serait défendu par une passion, que d'en toucher un qui n'aurait jamais été touché; ce me serait une double victoire, et je serais aussi bien plus persuadé de la véritable inclination qu'on aurait pour moi, si je l'avais vue naître dans le plus fort de l'attachement qu'on aurait pour un autre ; enfin ma gloire et mon amour se trouveraient satisfaits d'avoir ôté une maîtresse à un rival.

— Consalve est si étonné de votre opinion, lui répondit le prince, et il la trouve si mauvaise, qu'il ne veut pas même y répondre. En effet ; je suis de son parti contre vous, mais je suis contre lui sur cette connaissance si particulière qu'il veut de sa maîtresse. Je serais incapable de devenir amoureux d'une personne avec qui je serais accoutumé et, si je ne suis surpris d'abord, je ne puis être touché. Je crois que les inclinations naturelles se font sentir dans les premiers moments, et les passions, qui ne viennent que par le temps, ne se peuvent appeler de véritables passions.

— On est donc assuré, repris-je, que vous n'aimerez jamais ce que vous n'aurez pas aimé d'abord. Il faut, seigneur, ajoutai-