Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/166

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quelque chose d'extraordinaire lui fit hasarder la bataille dans une plaine qui ne lui donnait aucun avantage ; il la perdit si entière, qu'à peine put-il se sauver ; toute son armée fut taillée en pièces, tous les bagages furent pris, et jamais les Maures n'ont peut-être remporté une si grande victoire sur les chrétiens.

Le roi apprit avec beaucoup de douleur une si grande perte ; il en accusa le comte de Castille, et avec raison, mais comme il était bien aise de l'abaisser il se servit de cette conjoncture et, lorsque mon père voulut venir se justifier, il lui fit dire qu'il ne le voulait jamais voir, qu'il lui ôtait toutes ses charges, qu'il était bien heureux qu'il ne lui otât pas la vie et qu'il lui ordonnait de se retirer dans ses terres. Mon père lui obéit et s'en alla en Castille aussi désespéré que le peut être un homme ambitieux dont la réputation et la fortune venaient de recevoir une si grande diminution.

Le prince n'était point encore parti pour la Biscaye ; une maladie considérable le retenait Le roi s'en alla en personne contre les Maures avec tout ce qu'il put ramasser de forces. Je lui demandai la permission de le suivre et il me l'accorda, mais avec peine. Il avait envie de faire tomber sur moi la disgrâce de mon père. Cependant, comme je n'avais point eu de part à sa faute et que le prince me témoignait toujours beaucoup d'amitié, le roi n'osa entreprendre de me reléguer en Castille. Je le suivis et don Ramire demeura auprès de don Garcie. Nugna Bella parut extrêmement touchée de mon malheur et de notre séparation, et je m'en allai au moins avec la consolation de me croire véritablement aimé de la personne du monde que j'aimais le plus.