Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/164

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dire, s’écriait-il ? Irais-je encore lui montrer ce que je ne lui ai déjà que trop fait connaître ? Lui ferai-je voir que je sais qu’elle m’aime, moi qui n’ai jamais seulement osé lui dire que je l’aimais ? Commencerai-je à lui parler ouvertement de ma passion, afin de lui paraître un homme devenu hardi par des espérances ? Puis-je penser seulement à l’approcher, et oserais-je lui donner l’embarras de soutenir ma vue ? Par où pourrais-je me justifier ? Je n’ai point d’excuse : je suis indigne d’être regardé de madame de Clèves, et je n’espère pas aussi qu’elle me regarde jamais. Je lui ai donné, par ma faute, de meilleurs moyens pour se défendre contre moi que tous ceux qu’elle cherchait, et qu’elle eût peut-être cherchés inutilement. Je perds, par mon imprudence, le bonheur et la gloire d’être aimé de la plus aimable et de la plus estimable personne du monde ; mais, si j’avais perdu ce bonheur sans qu’elle en eût souffert, et sans lui avoir donné une douleur mortelle, ce me serait une consolation ; et je sens plus dans ce moment le mal que je lui ai fait, que celui que je me suis fait auprès d’elle.

M. de Nemours fut long-temps à s’affliger et à penser les mêmes choses. L’envie de parler à madame de Clèves lui venait toujours dans l’esprit. Il songea à en trouver les moyens ; il pensa à lui écrire ; mais enfin, il trouva qu’après la faute qu’il avait faite, et de l’humeur dont elle était, le mieux qu’il pût faire était de lui témoigner un profond respect, par son affliction et par son silence, de lui faire voir même qu’il n’osait se présenter devant elle, et d’attendre ce que le temps, le hasard et l’inclination qu’elle avait