Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/204

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Toutes ces idées furent nouvelles à cette princesse. L’affliction de la mort de M. de Clèves l’avait assez occupée pour avoir empêché qu’elle n’y eût jeté les yeux. La présence de M. de Nemours les amena en foule dans son esprit ; mais, quand il en eut été pleinement rempli, et qu’elle se souvint aussi que ce même homme qu’elle regardait comme pouvant l’épouser, était celui qu’elle avait aimé du vivant de son mari, et qui était la cause de sa mort ; que même, en mourant, il lui avait témoigné de la crainte qu’elle ne l’épousât, son austère vertu était si blessée de cette imagination, qu’elle ne trouvait guère moins de crime à épouser M. de Nemours, qu’elle en avait trouvé à l’aimer pendant la vie de son mari. Elle s’abandonna à ses réflexions si contraires à son bonheur ; elle les fortifia encore de plusieurs raisons qui regardaient son repos et les maux qu’elle prévoyait en épousant ce prince. Enfin, après avoir demeuré deux heures dans le lieu où elle était, elle s’en revint chez elle, persuadée qu’elle devait fuir sa vue comme une chose entièrement opposée à son devoir.

Mais cette persuasion, qui était un effet de sa raison et de sa vertu, n’entraînait pas son cœur. Il demeurait attaché à M. de Nemours avec une violence qui la mettait dans un état digne de compassion, et qui ne lui laissa plus de repos. Elle passa une des plus cruelles nuits qu’elle eût jamais passées. Le matin, son premier mouvement fut d’aller voir s’il n’y aurait personne à la fenêtre qui donnait chez elle ; elle y alla, elle y vit M. de Nemours. Cette vue la surprit, et elle se retira avec une promptitude qui fit juger à ce prince qu’il