Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/109

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penser ; les soupçons qui lui venaient dans l’esprit, l’accablaient de douleur. Il lui restait pourtant encore quelque incertitude ; mais l’arrivée de M. de Granson ne la lui laissa pas longtemps.

Il vint dans la matinée, et vint en lui faisant mille caresses, et en lui demandant pardon de lui avoir manqué de parole. Quel coup de foudre ! Son malheur, qui n’était plus douteux, lui parut tel qu’il était ; la pâleur de son visage et un tremblement général qui la saisit firent craindre à M. de Granson qu’elle ne fût malade ; il le lui demanda avec inquiétude, et la pressa de se remettre au lit. Loin de l’écouter, elle sortit avec précipitation d’un lieu qui lui rappelait si vivement sa honte.

Madame la comtesse d’Artois voulut partir cette même matinée. Madame de Granson ne fit nul effort pour la retenir. Le départ de M. de Granson, qui se crut obligé d’accompagner madame la comtesse d’Artois jusque chez elle, lui donna la triste liberté de se livrer à sa douleur ; il n’y en eut jamais de plus sensible ; elle se voyait offensée, de la manière la plus cruelle, par un homme qu’elle avait eu la faiblesse d’aimer. Elle s’en croyait méprisée, et cette pensée lui donnait tant de ressentiment contre lui, qu’elle le haïssait alors autant qu’elle l’avait aimé.

Quoi ! disait-elle, cet homme qui craindrait de manquer à la probité, s’il laissait croire à une femme qu’il a de l’amour pour elle, cesse d’être vertueux pour moi seule ! encore si j’avais dans mon malheur l’espérance de me venger ! Mais il faut étouffer mon ressentiment pour en cacher la honteuse cause. Que deviendrais-je, grand Dieu, si ce funeste secret pouvait être pénétré ?