Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/111

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Madame de Granson seule rêvait dans un coin de la chambre ; il alla à elle d’un pas chancelant ; et, sans oser la regarder, dit quelques paroles mal articulées. Le trouble où elle était elle-même ne lui permit pas de faire attention à celui du comte de Canaple.

Ils gardaient le silence l’un et l’autre, quand elle laissa tomber un ouvrage qu’elle tenait ; il s’empressa pour le relever, et, en le lui présentant, sans en avoir le dessein, sa main toucha celle de madame de Granson. Elle la retira avec promptitude, et jeta sur lui un regard plein d’indignation. Il en fut terrassé, et, ne pouvant plus être maître de lui-même, il alla s’enfermer dans sa chambre. Ce lieu, où il avait été si heureux, présentait en vain des images agréables à son souvenir, il ne sentait que le malheur d’être haï.

La façon dont madame de Granson l’avait regardé, son air embarrassé, son silence, tout montrait qu’elle connaissait son crime. Hélas ! disait-il, si elle pouvait aussi connaître mon repentir ! Mais il ne m’est pas permis de le lui montrer : il ne m’est pas permis de mourir à ses pieds. Que je connaissais mal l’amour, quand je croyais qu’il ne subsistait qu’à l’aide des désirs ! Ce n’est pas la félicité dont j’ai joui que je regrette ; elle ne serait rien pour moi, si le cœur n’en assaisonnait le don. Un regard ferait mon bonheur. Il résolut ensuite de faire perdre à madame de Granson, par son respect et sa soumission, le souvenir de ce qui s’était passé, et de se conduire de façon qu’elle pût se flatter que lui-même ne s’en souvenait plus. L’amitié qui était entre lui et M. de Granson ne mettait point d’obstacle à son dessein. Il