Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/146

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était une furieuse tentation de le garder ; mais ce plaisir n’eût pas été comparable à celui de donner à madame de Granson une preuve si sensible de ses soins, et une satisfaction qu’elle ne devrait qu’à lui. Il espérait même qu’elle démêlerait que c’était par respect qu’il n’avait osé garder ce qu’elle n’aurait pas voulu lui donner.

Malgré la liberté dont il jouissait chez M. de Granson, il y avait des heures, depuis sa maladie, où l’entrée de sa chambre n’était permise qu’à ses domestiques. M. de Canaple, pour avoir le prétexte d’aller dans l’appartement de madame de Granson, choisit une de ces heures. Rassuré par l’action qu’il allait faire, son air et sa contenance étaient moins timides. Madame de Granson en fut blessée, et jeta sur lui un regard qui lui apprit ce qui se passait en elle. C’est pour vous remettre, madame, lui dit-il, le portrait dont il m’a paru que la perte vous affligeait, que j’ai osé prendre la liberté d’entrer dans votre appartement. Je n’ai jamais compris, poursuivit-il en le lui présentant, comment il était possible que M. de Granson ait pu se dessaisir d’une chose qui lui devait être si précieuse ; et je le comprends encore moins dans ce moment.

Ces dernières paroles furent prononcées d’un ton bas et attendri. Madame de Granson, étonnée, attendrie elle-même du procédé de M. de Canaple, ne savait quel parti prendre. C’était lui faire une faveur, de recevoir cette marque de ses soins : et, en la lui refusant, elle lui laissait son portrait. Elle se détermina au parti le plus doux. Son cœur lui faisait cette espèce de trahison, sans qu’elle s’en aperçût. Cependant, toujours également occupée de remplir ses devoirs