Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/238

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dame de Granson, et la faisait presque mourir à tous les instants.

La détention de M. de Vienne lui donnait la liberté de sortir de la ville sans obstacle. Malgré sa délicatesse naturelle, elle marchait avec tant de vitesse, qu’elle laissait bien loin derrière elle celui qu’elle avait pris pour la conduire : mais ce n’était point encore assez au gré de son impatience ; elle se reprochait son défaut de force ; elle tremblait de n’arriver pas assez promptement.

Lorsqu’elle eut atteint les premières gardes, un soldat, trompé par ses habits, la prit pour un homme, et voulut l’arrêter ; mais un officier, touché de sa physionomie, l’arracha des mains du soldat, et la conduisit à la tente du roi, à qui elle assurait qu’elle avait un secret important à révéler.

Seigneur, lui dit-elle, en se prosternant à ses pieds, je viens vous demander la mort ; je viens vous apporter une tête coupable, et sauver une tête innocente. J’étais du nombre des citoyens qui doivent périr pour le salut de tous ; un étranger, par une pitié injurieuse pour moi, veut m’enlever cette gloire, et a pris mon nom.

Édouard, avec toutes les qualités qui font les héros, n’était pas exempt des faiblesses de l’orgueil. La démarche de madame de Granson, en lui rappelant la cruauté où il s’était abandonné, l’irritait encore ; et, la regardant avec des yeux pleins de colère : Avez-vous cru, lui dit-il, désarmer ma vengeance, en venant la braver ? Vous mourrez, puisque vous voulez mourir ; et cet audacieux, qui a osé me tromper, mourra avec vous.