Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/261

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Votre père a acquis son bien par des voies et dans des emplois peu honorables : c’est une tache qui ne s’efface jamais entièrement. Mais pourquoi, demandai-je, cette noblesse est-elle tant estimée ? C’est, me répondit-elle, que son origine est presque toujours estimable : d’ailleurs il a fallu quelques distinctions parmi les hommes ; celle-là était la plus facile.

Ma mère, qui vint me voir, interrompit cette conversation. Ma gouvernante s’empressa de lui exagérer l’affront que je venais de recevoir : ma sortie fut résolue sur-le-champ ; je n’en fus pas fâchée. J’éprouvais avec mes compagnes à peu près la même honte que si elles m’avaient vue toute nue. Je regrettais pourtant Eugénie : elle m’avait dit, à la vérité, des choses fâcheuses ; mais elle ne m’avait pas méprisée ; une lueur de raison, qui commençait à m’éclairer, me faisait sentir que j’avais besoin de ses instructions.

J’allai la trouver dans sa cellule ; je l’embrassai de tout mon cœur, et à plusieurs reprises. Ce que vous faites, me dit-elle, ma chère enfant, prouve votre heureux naturel : il serait bien triste que vous ne fussiez pas raisonnable ; vous êtes faite pour l’être ; mais les exemples que vous allez avoir devant les yeux vont vous séduire ; vous êtes encore bien jeune pour y résister. Je vous aime : je veux que vous m’aimiez aussi. Venez me voir souvent, je vous donnerai mes avis ; et, si vous avez confiance en moi, je vous ferai éviter des ridicules, et peut-être des malheurs réels.

Je l’embrassai une seconde fois : nous pleurâmes toutes deux en nous quittant, et cette conversation fut le commencement d’une liaison à laquelle je dois