Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/294

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d’instant plus délicieux que celui où je rendis un service considérable à un homme que j’aimais : il l’ignora longtemps : il eût pu l’ignorer toujours, sans que j’y eusse rien perdu ; la satisfaction de m’en estimer davantage me suffisait. Je rapporte ce discours, parce qu’on verra dans la suite dans quel cas je m’en suis autorisée.

Barbasan n’avait pas imité les commensaux de la maison : il s’informait avec intérêt de la santé de mon père ; et, quand il lui était permis de le voir, il demeurait dans sa chambre aussi longtemps qu’il le pouvait. Il y avait d’autant plus de mérite, que ses soins étaient presque perdus pour lui : ma tendresse pour mon père faisait taire tout autre sentiment ; Barbasan s’en plaignait avec une douceur charmante. Vous n’êtes occupée que de votre père, me disait-il ; à peine vous apercevez-vous que je vous vois, que je vous parle ; je m’en afflige ; je ne sais cependant si je vous voudrais autrement : tout ce qui augmente l’estime que j’ai pour vous, tout ce qui confirme l’idée de perfection que je me suis formée de votre caractère, satisfait mon cœur.

Après quelques jours d’espérance, non seulement je retombai dans mes craintes, mais j’eus la cruelle certitude que mon père ne pouvait en revenir. Il languit encore quelque temps, et mourut avec la résignation d’un homme pénétré des vérités de la religion, et avec la constance d’un philosophe. On nous conduisit ma mère et moi chez une de ses parentes : j’étais pénétrée de la plus vive douleur ; ma mère, au contraire, avait peine à garder les dehors que la bienséance exige, et