Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/297

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yeux lui dirent ce qu’ils lui disaient toujours : il n’en fallut pas davantage pour lui rendre la liberté de son esprit ; il s’efforça de plaire à Eugénie, et il y réussit.

Malgré le plaisir que j’avais de le voir, j’avais une vraie impatience que la visite finît, pour l’entendre louer tout à mon aise. Ai-je tort, dis-je à Eugénie, dès que nous fûmes seules ? Vous ne m’en feriez pas la question, répliqua-t-elle, si vous n’étiez assurée de ma réponse. Il est vrai qu’il est aimable ; et, ce que j’estime bien davantage, il a l’air d’un honnête homme, et peut-être n’est-il qu’un bon comédien. Ah ! m’écriai-je, cette pensée est bien injuste ! et vous êtes cruelle de me la présenter. Je fais, dit Eugénie, le personnage de votre raison. Quel malheur pour vous si cet esprit, si ces grâces, enfin si ces dehors séduisants cachaient des vices. Il ne faudrait pas même de vices, de défauts dans l’humeur ; de la légèreté, de l’inconstance, suffiraient pour vous rendre malheureuse. Non, ma chère Eugénie, il n’a rien de tout cela, lui dis-je en l’embrassant. Promettez-moi que vous ne serez point contre lui. Promettez-moi aussi, répondit-elle, de ne prendre aucun parti sans mon aveu, et de m’en croire sur l’examen que je ferai de votre amant. Je lui promis tout ce qu’elle voulut, et je le promis de bonne foi. Croit-on courir quelque risque de laisser examiner ce qu’on aime !

Voilà donc Barbasan établi dans mon parloir ; il y passait les journées presque entières ; l’amour répandait sur nos moindres occupations ce charme secret qu’il répand sur tout ; et, quand je ne le voyais plus, je subsistais de cette joie douce dont il avait rempli mon cœur.