Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/309

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je ne crois pas possible que ceux qui y sont effectivement soient dans un état plus déplorable que celui où je passai la nuit.

La joie succéda à tant de douleurs, quand j’appris à sept heures du matin, par un billet, que tout avait réussi, et que Barbasan était en sûreté. Je baisais ce cher billet ; j’embrassais Eugénie ; je me jetais à genoux pour remercier Dieu avec des larmes aussi douces que celles que j’avais répandues auparavant étaient amères. Barbasan m’écrivit de la route. Quelle lettre ! que d’amour ! que de reconnaissance ! que de protestations ! Elle m’eût payé de mille fois plus que de ce que j’avais fait.

J’avais un cœur avec lequel je ne pouvais être longtemps tranquille. Je commençai à m’affliger de ce que nous étions séparés peut-être pour toujours. Il ne pouvait revenir dans le royaume : le projet d’aller le joindre me paraissait aussi difficile qu’il m’avait paru aisé quand j’en avais formé d’abord la résolution. Il fallait, pour l’exécuter, que j’eusse atteint mes vingt-cinq ans. Que savais-je si je ne trouverais point de nouveaux obstacles ?

Ces différentes pensées m’occupaient sans cesse, et me jetaient dans une tristesse dont l’amitié d’Eugénie s’alarmait. Quel cœur que le sien ! jamais de dégoût, jamais d’impatience ; elle écoutait avec la même attention, avec le même intérêt, ce que je lui avais déjà dit mille fois ; de grands services coûtent moins à rendre et prouvent moins qu’une pareille conduite : on est payé par l’éclat qui les accompagne ordinairement ; mais cette tendresse compatissante n’a de récompense que le sentiment qui la produit.