Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/360

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m’estimez, répondit mademoiselle d’Essei, et vous me proposez de me venger d’un homme à qui j’ai donné ma foi ! Ah ! mademoiselle, dit le marquis de la Valette, avec une extrême douleur, vous l’aimez ! l’amour seul peut retenir une vengeance aussi légitime que la vôtre.

Je vous l’ai déjà dit, répliqua-t-elle, et peut-être vous l’ai-je trop dit ; la raison seule et les conseils de madame de Polignac m’avaient déterminée ; mais la trahison du comte de Blanchefort ne m’affranchit pas de mes devoirs ; il sera père de cette misérable créature, dont je serai la mère ; et pourrais-je ne pas respecter ses jours, et pourrais-je aussi me résoudre à exposer les vôtres ? Adieu, monsieur, lui dit-elle encore ; le ciel sera peut-être touché de mon innocence et de mon malheur ; c’est à lui de me venger, si je dois l’être ; mais ne me voyez plus, et laissez-moi jouir de l’avantage de n’avoir à pleurer que mes malheurs, et non pas à rougir de mes faiblesses.

M. de la Valette, que l’admiration et la pitié la plus tendre attachaient encore plus fortement à mademoiselle d’Essei, ne s’en sépara qu’avec la plus sensible douleur. Ce qu’il m’en coûte pour vous obéir, lui dit-il en la quittant, mérite du moins, que vous daigniez vous souvenir que le pouvoir que vous avez sur moi est sans bornes.

Elle n’en était que trop persuadée pour son repos. Je suis la seule au monde, disait-elle à madame du Paraclet, pour qui la fidélité d’un homme tel que le marquis de la Valette soit un nouveau malheur ; tous mes sentiments sont contraints, ajoutait-elle, je n’ose ni me permettre de haïr, ni me permettre d’aimer.